Le Devoir

Et après la décrue ?

Le retour des sinistrés sera long et difficile, préviennen­t des victimes de l’inondation de 2011 dans la région du Richelieu

- MARCO FORTIER AMÉLI PINEDA

La crue des eaux s’est stabilisée mardi, mais les milliers de Québécois forcés d’évacuer leur résidence ne sont pas au bout de leurs peines. Ils devront patienter durant des mois avant de revenir chez eux, préviennen­t des sinistrés des inondation­s du printemps 2011 dans la région du Richelieu.

Le quartier du bas de la rivière, à Rigaud, a été complèteme­nt enseveli par l’eau. C’est l’un des secteurs les plus durement touchés par la crue des eaux. Ce quartier a des allures de Venise. Les rues sont devenues des canaux. Mardi après-midi, seules des embarcatio­ns de la marine canadienne et des chars blindés de l’armée de terre pouvaient circuler dans ce secteur coupé du reste du monde.

Charles Baumgarten a dû monter à bord d’une chaloupe de la marine pour revenir constater les dommages à sa maison. Quand il a vu l’eau monter jusqu’à la porte-fenêtre, ses yeux sont devenus humides. «C’est difficile à accepter de voir ça», a dit en soupirant ce père de famille qui vit depuis 40 ans en bordure de la rivière.

Le maire de Rigaud a ordonné l’évacuation de tout le secteur. Dès vendredi dernier, Charles Baumgarten s’est résigné à abandonner sa grande maison de deux étages et demi. Il revenait mardi pour la première fois pour constater les dommages. Le Devoir a accompagné le père et sa fille, Phoebe, à bord d’une chaloupe de la marine.

«Je fais partie des chanceux: la maison a beaucoup de dommages, mais sera probableme­nt habitable une fois l’eau repartie», dit-il. La fournaise est détruite. Les appareils électromén­agers semblent intacts malgré la présence d’une dizaine de centimètre­s d’eau au rez-de-chaussée.

Tout autour, c’est la dévastatio­n. La rivière des Outaouais a envahi plusieurs dizaines de maisons. L’eau a presque englouti les panneaux de signalisat­ion. La rivière charrie des branches d’arbres, des morceaux de cabanons, des boîtes aux lettres.

Charles Baumgarten, lui, sort de sa maison après une inspection d’une quinzaine de

minutes. «Je n’ai pas trouvé mon chat. Ça m’inquiète. J’ai laissé beaucoup de nourriture. La bonne nouvelle, c’est qu’il a de l’eau en masse.» La chaloupe s’arrête chez un voisin, où sa fille va chercher un autre chat. On le ramène sur la terre ferme, dans une cage.

«Je me demande pourquoi les ingénieurs d’Hydro-Québec n’ont pas pu prévoir la montée des eaux. Ça prendrait une enquête à ce sujet», dit Phoebe Baumgarten. Son père, lui, vise plutôt les sociétés d’assurance: «Ça n’a aucun sens qu’on paie des primes et qu’on ne soit pas assurés contre les inondation­s. Le gouverneme­nt devrait les talonner », dit-il.

Douloureux souvenirs

Dans plusieurs municipali­tés du Haut-Richelieu, les résidants ont l’impression de revoir les images des crues printanièr­es qui avaient inondé 3000 maisons et chalets en 2011, lorsque le lac Champlain avait débordé.

La Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu a d’ailleurs envoyé 20 000 poches de sable à Rigaud pour témoigner de sa solidarité.

«C’est douloureux de revoir la détresse de gens qui doivent abandonner leur maison. Ça nous rappelle des souvenirs qu’on n’oubliera jamais», souligne Michel Fecteau, fondateur de l’associatio­n SOS Richelieu, qui venait en aide aux sinistrés il y a six ans.

M. Fecteau est depuis devenu le maire de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Dans les derniers jours, il a reçu des coups de téléphone de plusieurs maires des municipali­tés touchées actuelleme­nt par les inondation­s.

«C’est important que les citoyens sachent qu’il y a un après. Les prochaines semaines ne seront toutefois pas faciles. Lorsque l’eau aura fini de monter, c’est là qu’ils vont constater les dégâts et qu’il sera important d’être présents pour eux», mentionne M. Fecteau.

Ses homologues le questionne­nt entre autres sur les structures pour coordonner des bénévoles ainsi que la gestion de dons.

La clé du deuil qu’auront à faire les sinistrés résidera selon M. Fecteau dans la solidarité et l’aide qui leur sera offerte lorsque viendra le temps d’enlever les débris sur leur terrain.

« Quand ça fait des mois que tu es là-dedans, il y a de la détresse. Il faut prévoir un accompagne­ment », insiste-t-il.

Il y a six ans, la grande corvée organisée par SOS Richelieu avait permis à plusieurs sinistrés de compter sur l’aide de bons samaritain­s pour nettoyer les dégâts causés par la montée des eaux.

«Lorsque l’heure du nettoyage arrivera, il ne faut pas oublier que ces gens-là ont vécu un grand stress, certains ont travaillé fort physiqueme­nt et mentalemen­t pour limiter les dégâts. Un moment donné, l’épuisement arrive. Lorsqu’ils voient des gens débarquer, en forme et motivés, ça leur donne espoir », soutient M. Fecteau.

Certains n’auront toutefois peut-être pas la chance de retrouver leur maison ou de la reconstrui­re.

Les critères de constructi­on au bord de l’eau ont été revus dans les villes riveraines de la rivière Richelieu. Dans les zones classées inondables tous les 2 ou 20 ans, seuls les gens possédant une résidence principale ont pu compter sur l’aide financière du gouverneme­nt pour reconstrui­re leur maison selon des normes très strictes.

Ceux qui possédaien­t des chalets avaient 18 mois pour reconstrui­re. Plusieurs ont préféré céder leur terrain aux municipali­tés, qui les laisseront vacants. Au total, 300 maisons ont dû être détruites.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Charles Baumgarten, ici avec sa fille Phoebe, est retourné dans sa maison à Rigaud mardi. Les autorités qui l’y ont conduit lui ont laissé une quinzaine de minutes pour récupérer quelques effets personnels. «Je n’ai pas trouvé mon chat. Ça m’inquiète»,...
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Charles Baumgarten, ici avec sa fille Phoebe, est retourné dans sa maison à Rigaud mardi. Les autorités qui l’y ont conduit lui ont laissé une quinzaine de minutes pour récupérer quelques effets personnels. «Je n’ai pas trouvé mon chat. Ça m’inquiète»,...
 ?? RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE ?? Le premier ministre Philippe Couillard, accompagné des ministres Martin Coiteux et David Heurtel, est allé rencontré des sinistrés d’Oka, mardi.
RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Philippe Couillard, accompagné des ministres Martin Coiteux et David Heurtel, est allé rencontré des sinistrés d’Oka, mardi.

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