Sur les bancs de l’UQAC en Chine
Les professeurs de l’Université du Québec à Chicoutimi se déplacent à l’étranger pour diffuser leur savoir et leurs programmes
Poursuivre ses études avec des professeurs en chair et en os de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) tout en restant en Chine, au Maroc, au Sénégal, en Colombie ou en Tunisie, c’est possible. Et l’établissement de Saguenay a à ce point développé ses programmes offerts à l’étranger qu’il en est devenu le leader québécois.
Alors que toutes les universités développent agressivement leurs activités internationales, l’UQAC, elle, a misé sur la niche des programmes délocalisés, qui représentent en quelque sorte la forme la plus achevée de cette internationalisation. Les établissements d’enseignement supérieur sont nombreux à accueillir des étudiants étrangers, à encourager la mobilité étudiante et à
offrir des formations à distance. Et l’UQAC ne fait pas exception. Mais les programmes délocalisés font un pas de plus vers l’extérieur en envoyant à l’étranger les professeurs de l’université d’origine enseigner des programmes complets de baccalauréat et de maîtrise.
Au cours de l’année 2015-2016, quelque 2800 étudiants étrangers étaient inscrits dans ces programmes à l’UQAC. Ce chiffre, stable depuis environ quatre ans, dépasse largement le millier d’étudiants étrangers présents sur le campus saguenéen. Au total, l’université compte environ 6500 étudiants à Saguenay. C’est donc près du tiers de ses étudiants qui n’a jamais foulé les rives du fjord.
Démographie et argent
Pourquoi avoir à ce point développé le créneau? Outre les vertus perçues et recherchées des échanges interculturels, ou encore la volonté de faciliter l’accessibilité aux études supérieures dans des pays en émergence, c’est le déclin démographique dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean et la chute de clientèle locale qui a été la bougie d’allumage. «Il y a une quinzaine d’années, on s’est dit que si nous voulions être encore là comme université dans les prochaines années, il fallait se tourner vers autre chose. C’est à ce moment que l’UQAC a pris un virage international», explique Marie-Anne Blackburn, agente de liaison au Bureau international de l’UQAC.
S’ajoute une motivation financière. «Le gouvernement nous demande de ne pas hausser les droits de scolarité, alors, à un moment donné, il faut que les sous viennent de l’extérieur: des étudiants internationaux et des projets à l’étranger comme les programmes délocalisés », poursuit Mme Blackburn.
Selon les chiffres fournis au Devoir par l’UQAC, ces programmes génèrent des revenus de trois à quatre millions de dollars par année. Les droits de scolarité varient d’un pays à l’autre, mais oscillent « de manière générale » autour d’un montant «un peu moindre» que ce que déboursent les étudiants internationaux admis sur le campus de Saguenay.
En soustrayant les dépenses, il reste des profits de 1 million de dollars, lesquels sont réinvestis dans l’établissement. Le budget total de l’université est d’environ 100 millions.
Partenariats
Le concept des programmes délocalisés a émergé des universités australiennes, puis britanniques, vers la fin des années 1970. Les Américains ont emboîté le pas en grand en ouvrant des campus à l’étranger. L’Université de New York a notamment installé un campus à Shanghai, en Chine.
À l’UQAC comme dans la quasi-totalité des autres universités québécoises, les cours des programmes délocalisés sont offerts dans des universités locales, en partenariat avec celles-ci. «C’est difficile de prendre pied par nous-mêmes dans un pays. Pour faire le marketing, recruter les étudiants, connaître ce qui les intéressera, ça prend des gens qui connaissent la réalité locale. C’est tellement différent de chez nous…», raconte MarieAnne Blackburn, ajoutant que des représentants de l’université passent jusqu’à six mois par année à l’étranger pour développer les partenariats, en plus des professeurs de Saguenay qui font des allers-retours de 10 jours à trois semaines pour offrir les cours en format intensif.
Sciences de la gestion
L’UQAC offre notamment ses programmes dans trois universités de Chine, pays dans lequel se trouvent ses plus importantes cohortes d’étudiants. Et comme au Maroc, au Sénégal, en Colombie et en Tunisie, les matières enseignées y sont très majoritairement issues des sciences de la gestion, un fait répandu dans l’ensemble des universités québécoises.
Outre le fait que ces disciplines soient populaires à l’étranger, a-t-on expliqué au Devoir, elles sont aussi « délocalisables » par-delà les cultures nationales. «Les sciences de la gestion sont très standardisées à travers le monde, explique Sylvain St-Amant, directeur du service des relations internationales de l’UQAM. Le MBA, par exemple, c’est un diplôme qui est reconnu partout. Alors qu’en science politique, en sciences de l’éducation ou en sciences de l’environnement, le contenu varie beaucoup d’un pays à l’autre. »
À preuve, de nombreuses universités québécoises, dont McGill, HEC Montréal, l’UQTR et Sherbrooke, offrent leur MBA à l’étranger. Mais l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM est sans aucun doute la plus active à l’étranger. Et, au total, l’institution qui compte le plus grand nombre d’étudiants dans ses programmes délocalisés après l’UQAC. Aux dires de Benoît Bazoge, vice-doyen à l’international de l’ESG, l’École compte quelque 500 étudiants dispersés dans 12 — et bientôt 13 — pays.
Quelle valeur sociale?
Brigitte Martin, une anthropologue qui a déposé l’année dernière une thèse sur l’internationalisation de la formation universitaire au Québec, souligne que la surreprésentation des sciences de la gestion dans les programmes délocalisés s’explique aussi par les moyens exceptionnels dont disposent ces départements et écoles. «C’est là où il y a le plus d’argent [dans les universités], dit-elle. Ils ont ce qu’il faut pour penser et exporter ces nouveaux produits. Les lettres et les sciences fondamentales n’ont pas, elles, les ressources nécessaires.»
Sans remettre en question la pertinence des programmes délocalisés, l’anthropologue obser ve qu’ils se sont développés de façon « agressive » par les universités québécoises et qu’il n’existe pas de mécanismes communs pour vérifier la qualité de la formation à l’étranger et sa «véritable valeur sociale ajoutée». «Le ministère de l’Éducation ne s’est pas encore vraiment penché là-dessus », assure-t-elle, en rappelant que ces programmes en partie motivés par la quête de financement sont possibles à la base grâce à des fonds publics.