Un mal devenu récurrent
Les sinistrés de la dernière vague d’inondations le savent déjà: il leur faudra des mois, parfois plus d’une année avant de retrouver une vie normale. Des mois de problèmes matériels, de soucis financiers et d’anxiété. Le soutien populaire et celui des gouvernements sont indispensables, mais il faut aussi tirer des leçons.
La plupart des cours d’eau du sud-ouest du Québec, à l’exception notoire du Saint-Laurent, ont cessé de monter depuis hier. Mais le pire reste à venir pour les milliers de citoyens qui devront nettoyer, rénover, reconstruire… ou même abandonner leur maison. Car tous ne pourront pas reconstruire leur propriété, notamment les résidences secondaires trop endommagées situées en zone inondable une fois tous les 20 ans. La loi précise en effet qu’aucune résidence, principale ou secondaire, ne peut être reconstruite dans une telle zone, mais on sait que le gouvernement Charest a déjà contrevenu à cette règle à la suite des inondations de la rivière Richelieu, en 2011. Sous la pression des municipalités, il a alors autorisé, par décret, la reconstruction des résidences principales détruites à plus de 50% à condition de rendre les fondations étanches. Ce qui ne suffirait pas pour protéger plusieurs d’entre elles contre une crue aussi importante que celle de cette année.
Puis, Québec a indemnisé les centaines de sinistrés jusqu’à concurrence de 150 000$ chacun selon les barèmes d’aide en vigueur. Ce qu’il devrait refaire cette année si le Richelieu était sorti de son lit, ce qui n’est heureusement pas le cas.
La plupart des sinistrés de cette année qui ne sont pas assurés, comme ceux de 2011, recevront moins que le coût réel des travaux entrepris. Car l’aide de l’État n’est pas une assurance tous risques à laquelle souscrivent tous les Québécois à la naissance, mais un soutien de dernier recours plutôt généreux compte tenu du risque inhérent à l’achat d’une résidence située à proximité d’un cours d’eau.
Au fil des ans et des inondations, on a adopté des normes de plus en plus sévères interdisant la construction et la reconstruction en zones inondables. Mais le problème est complexe. D’une part, les pressions politiques sont toujours très fortes pour autoriser le développement immobilier; d’autre part, on ne peut refaire l’histoire et reconstruire des quartiers entiers.
Que ce soit à Gatineau, Rigaud, Cartierville ou Deux-Montagnes, des dizaines de résidences situées en zone inondable une fois seulement tous les 100 ans ont été touchées cette année. D’autres coins de pays aussi menacés, comme la vallée de la Richelieu, ont été épargnés.
S’il est impossible de prévoir que des précipitations exceptionnelles gonfleront les crues printanières habituelles, il est certainement possible de mieux s’y préparer collectivement et de réduire ainsi le nombre de propriétés affectées.
Au Québec comme ailleurs, les autorités politiques sont sensibles aux humeurs populaires. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais cela comporte son lot d’incohérences. Nos élus sont donc souvent enclins à mettre les principes de côté pour ne pas avoir à affronter la colère de citoyens brimés dans leurs droits, ou leurs privilèges, quitte à décaisser des dizaines de millions tous les deux ou trois ans pour réparer des dégâts.
Impossible en toute logique de donner son aval à un tel comportement, mais puisque tel est le choix fait en toute connaissance de cause par des politiciens élus aux quatre ans, exigeons au moins qu’ils mettent en place les conditions d’une protection plus efficace des zones à risque.
D’abord par une application plus rigoureuse des normes existantes; ensuite par la mise sur pied obligatoire d’équipes bien formées affectées à la prévention et à la protection contre les inondations dans toutes les municipalités traversées par un cours d’eau.
Nous savons qu’il faut épandre des abrasifs sur nos routes en hiver et nous le faisons efficacement. Alors, pourquoi la fonte des neiges nous surprend-elle chaque année? Comment se fait-il que la Sécurité civile n’ait encore aucune stratégie systématique pour la construction rapide de digues permanentes et/ou temporaires?
Le bénévolat spontané c’est merveilleux, l’énergie des pompiers et des soldats c’est aussi très bien, mais la Sécurité civile et les municipalités doivent pouvoir intervenir plus rapidement et plus efficacement lorsqu’une rivière, un lac ou un ruisseau sort de son lit, en mai ou en juillet. Il est plus que temps de cesser de qualifier d’exceptionnels des phénomènes qui se reproduisent aux quatre ans.