Le Devoir

Loi 101 au cégep : une fausse bonne idée

- FRÉDÉRIC BASTIEN Historien et professeur au collège Dawson

Depuis quelque temps une idée a ressurgi au sein du mouvement nationalis­te et à l’intérieur du Parti québécois, celle d’étendre la loi 101 au réseau collégial, ce qui empêcherai­t les francophon­es de souche et les néo-Québécois de pouvoir étudier dans un cégep anglophone. Alors que la situation du français au Québec reste précaire et tandis que l’horizon référendai­re est pour l’instant bloqué, il est compréhens­ible que cette mesure soit attrayante pour plusieurs nationalis­tes. Elle constitue toutefois une fausse bonne idée.

J’enseigne moi-même dans un cégep anglophone depuis une dizaine d’années et je voudrais témoigner ici de ce que j’observe tous les jours, de l’effet anglicisan­t d’une éducation collégiale en anglais chez nos étudiants issus de l’immigratio­n. De façon générale et avec bien sûr des exceptions, on peut distinguer trois groupes. Il y a d’abord ceux qui sont originaire­s des Antilles et de l’Afrique francophon­es, du Vietnam, du Maghreb et de l’Amérique latine. Ces étudiants sont fortement francisés et intégrés à la majorité linguistiq­ue. Leur DEC en anglais ne change rien à cela, sinon qu’ils possèdent une meilleure capacité à parler anglais à la fin de leurs études chez nous.

À l’autre extrême, il y a les ressortiss­ants du sous-continent indien, des Antilles et de l’Afrique anglophone­s, des Philippine­s ou d’autres pays ayant des liens historique­s forts avec la GrandeBret­agne

Élargir la loi 101 au cégep comporte des inconvénie­nts et aurait un impact limité sur la situation du français

ou les États-Unis. J’observe chez eux un niveau de français bien inférieur, une très grande attirance vers l’anglais et une tendance à vouloir s’intégrer à la communauté anglophone.

Entre ces deux groupes, il y a également ceux qui sont d’origine chinoise ou russe et qui sont partagés. Certains sont très francisés et intégrés, d’autres beaucoup moins.

Mieux cibler notre immigratio­n

Pour régler cette situation, le meilleur moyen est de mieux cibler notre immigratio­n, quitte à la réduire. On doit sélectionn­er ceux qui sont susceptibl­es de s’intégrer à la majorité francophon­e. Le Québec s’est battu pour obtenir des pouvoirs en immigratio­n précisémen­t parce que cette réalité a un impact direct sur sa capacité à maintenir son identité distincte. Il a obtenu la victoire en 1979 (partiellem­ent du moins) et doit maintenant exercer ce pouvoir dans la perspectiv­e pour laquelle il l’avait voulue, contrairem­ent à ce que fait l’actuel gouverneme­nt libéral.

Étendre la loi 101 au cégep aurait certes un impact sur ces jeunes néo-Québécois qui ne maîtrisent pas assez bien le français ou qui souhaitent s’angliciser, mais ils ne sont pas si nombreux. Cette mesure passerait toutefois à côté d’un problème bien plus important, le nombre de jeunes anglophone­s de souche qui ne parlent que peu ou pas le français. Chaque année, je suis frappé de constater dans mes classes le nombre important de ceux qui sont incapables de soutenir une conversati­on en français, et ce même s’ils ont passé toute leur vie au Québec et qu’ils ont eu plusieurs années d’enseigneme­nt du français langue seconde. Remédier à cette situation nécessiter­ait plus d’immersion française pour ces derniers au niveau secondaire et de plus grandes exigences académique­s pour cette matière. Évidemment, c’est moins spectacula­ire que de brandir la loi 101. Par contre, le potentiel de faire du français la langue commune et la langue de travail serait bien plus grand.

Par ailleurs, interdire aux francophon­es de souche ou aux néo-Québécois de faire leur collégial en anglais a aussi des conséquenc­es. Toutes les familles n’ont pas nécessaire­ment les moyens d’envoyer leurs enfants dans des camps de vacances en anglais durant l’été ou n’ont pas accès à des programmes d’anglais intensifs à l’école. Le cégep anglophone offre alors une possibilit­é de parfaire leur anglais à ceux qui n’ont pas pu le faire auparavant.

En somme, élargir la loi 101 au cégep comporte des inconvénie­nts et aurait un impact limité sur la situation du français. Un éventuel gouverneme­nt qui aurait pour objectif de renforcer le français au Québec ferait mieux d’employer son temps à d’autres mesures plus efficaces.

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