Après Snowden, Laura Poitras braque sa caméra sur Julian Assange
Après avoir suivi Edward Snowden, la réalisatrice plonge dans l’univers du fondateur de WikiLeaks
Après Edward Snowden, Julian Assange. La réalisatrice américaine Laura Poitras, oscarisée pour son troublant documentaire Citizenfour sur le fameux lanceur d’alerte américain, reste en terrain plutôt connu avec son nouveau film Risk, cette fois sur le fondateur de la plateforme de diffusion anonyme d’informations WikiLeaks.
«Ne faisons pas semblant que je suis une personne normale », lance Julian Assange en direct de l’ambassade de l’Équateur, pendant une étrange entrevue menée par Lady Gaga et captée par Poitras. Voilà effectivement l’impression que donne Risk. Assange, qui se révèle à la lentille sur plusieurs années, est une personne hors de l’ordinaire. Certes par son travail important pour le partage de données qui ont permis de mettre au grand jour des scandales. Mais aussi par son tempérament contrôlant et pas toujours rose.
Poitras aura ces étranges paroles en narration du film: «Les lignes se sont brouillées» avec Julian Assange. Risk ne le rend pas nécessairement sympathique, quoiqu’il soit passionnant de le voir à l’oeuvre avec WikiLeaks, en discussion avec le gouvernement ou avec ses avocats — caché dans un bosquet, à l’affût du moindre craquement suspect.
«Le tournage était très complexe, confie Poitras en entrevue téléphonique. Pour lui parler, j’ai dû apprendre des techniques de cryptage d’informations, qui plus tard ont rendu possible mes discussions avec Edward Snowden. Assange opère souvent comme opère un espion, avec des outils pour protéger ses sources, parce que sinon le gouvernement peut utiliser ses outils de surveillance pour savoir avec qui il parle. Il faut utiliser des méthodes extrêmes pour protéger nos sources, ou simplement un minimum de vie privée.»
Citizenfour, lancé en 2014, est donc né du tournage de Risk, voire grâce à lui. «Sans avoir fait le tournage sur WikiLeaks, je n’aurais pas pu communiquer avec Snowden, explique la réalisatrice d’expérience. Quand j’ai été contacté je me suis dit que ça pourrait être un seul film, et puis j’ai réalisé que ça ne pourrait l’être.»
Deux volets
D’une certaine façon, il y a tout de même deux films dans Risk. Une partie du documentaire s’attarde à montrer les enjeux du travail d’Assange, et la tension que l’informaticien vit. La liste des organismes et des départements américains qui veulent sa peau est impressionnante. Le film révèle aussi que Laura Poitras elle-même faisait l’objet d’une enquête. Elle explique avoir été longuement interrogée à l’aéroport à la suite d’une rencontre avec Assange.
Ce qui vient brouiller l’histoire du fondateur de WikiLeaks — et celle du documentaire —, ce sont les accusations de viol qui pèsent sur lui en Suède. Poitras le dit elle-même dans le film : ce que l’on croyait au début une histoire parallèle a pris beaucoup de place dans l’histoire d’Assange. Et donc dans l’histoire de Risk.
Dans la version définitive du documentaire, plus longue que la version diffusée à Cannes cette année, la réalisatrice a d’ailleurs rajouté quelques éléments à ce sujet. C’est qu’après avoir visionné le documentaire, Assange a piqué une véritable crise de colère à Poitras, lui demandant de retirer du film tout ce qui avait trait aux allégations d’agression. La cinéaste a plutôt ajouté dans Risk le fait qu’Assange ait fait ces demandes.
Poitras a aussi ajouté qu’un proche d’Assange, qu’elle admet avoir fréquenté, a aussi été la cible d’allégations pour méconduite sexuelle.
«Oui je l’ai dit, il fallait que je le fasse. Si je n’avais pas fait ces changements, je crois que là j’aurais vraiment été attaquée, et je pense que je serais d’accord avec ces critiques, dit-elle. Comme réalisatrice, j’avais deux choix: soit de ne jamais lancer le film, ou de continuer à travailler. »
Jusqu’à la dernière minute, Poitras aura mis à jour son film, l’ancrant le plus possible dans l’actualité du moment, entre autres dans l’élection américaine et autour des allégations de liens entre WikiLeaks et la Russie.
«D’une façon, le tournage a commencé dans un temps plus optimiste, où Internet servait à faire tomber des régimes, et là on est dans un tout autre esprit », conclut la cinéaste. Risk prend l’affiche au Cinéma du Parc en version originale anglaise le 12 mai.