Le Devoir

L’audioguide de musée… dépassé ?

L’auteure Véronique Grenier renouvelle l’expérience de la visite audioguidé­e

- JÉRÔME DELGADO

L’auteure Véronique Grenier propose une «musique d’ascenseur», toute en mots et à saveur philosophi­que, pour accompagne­r le public de l’exposition Le temps file, à Québec. À une époque où les musées profitent du Plan culturel numérique du gouverneme­nt québécois pour repenser les outils offerts aux visiteurs, cette aventure audioguidé­e a de quoi surprendre.

Le temps file, dit l’intitulé de l’exposition, une affaire en une cinquantai­ne d’oeuvres autour du thème de la vanité, de l’existence et, par extension, de sa fin. Et pour accompagne­r ces peintures, estampes, sculptures, photograph­ies et tutti quanti, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) se joue des modes et propose ce qui peut être considéré comme un bel anachronis­me : un audioguide.

Le temps semble avoir vite filé dans les musées. Si les guides en chair et os font encore acte de présence, le gros kick concerne l’expérience multimédia à partir d’un petit appareil personnel, du bout des doigts — pas juste une voix entre les oreilles. Le numérique et le sans-fil multiplien­t tellement les possibilit­és (microlocal­isation, réalité augmentée, etc.) qu’il serait fou de s’en priver.

«Il faut suivre le rythme pour ne pas perdre des visiteurs. Il faut continuer à parler leur langage. Et quand on parle le langage des milléniaux, on les touche», résume Hélène Bernier, directrice de la programmat­ion au Musée de la civilisati­on.

Or, dans le musée voisin, et c’est l’élément surprenant de l’exposition Le temps file. La vanité dans la collection du MNBAQ, l’accompagne­ment

est uniquement auditif. C’est une voix féminine — comme dans le bon vieux temps? — qui guide la visite.

Deuxième surprise: le public l’apprécie. Il n’a pas été possible d’obtenir les chiffres le prouvant, mais selon la direction du marketing et des communicat­ions du MNBAQ, la tablette numérique disponible en location, qui contient aussi d’autres parcours avec vidéos, connaît une popularité grandissan­te depuis l’inaugurati­on de Le temps file.

Trame de fond

La voix que les visiteurs découvrent en ouvrant l’applicatio­n mobile est celle de Véronique Grenier, blogueuse, chroniqueu­se, auteure d’un premier livre, Hiroshimoi (2016), et professeur­e de philosophi­e au cégep. Ce qu’elle lit, ce sont ses mots.

Troisième surprise : le texte ne décrit pas les oeuvres. On est davantage dans des réflexions à saveur philosophi­que — à l’image de l’expo.

« J’ai compris que je concevais ma tâche comme celle de vous écrire une musique d’ascenseur. Une trame de fond, quasi chuchotée, dit-elle, en introducti­on. Des mots enveloppan­ts, loin, peut-être, des habituelle­s descriptio­ns. »

«On m’a donné carte blanche, explique la Sherbrooko­ise, lors d’un passage éclair à Montréal. Quand je dis “musique d’ascenseur”, c’est vraiment mon feeling. Je voulais que ces textes soient en arrière, quitte à ce qu’on prenne un moment après pour les écouter. »

Véronique Grenier voulait éviter de jouer l’impostrice, se sentait «très petite» devant les oeuvres. « Ce sont des expérience­s universell­es que je raconte. J’espère seulement que ça s’harmonise avec le reste, plutôt que d’entrer en conflit », confie-t-elle.

La jeune prof estime que la vieillesse et la mort sont des préoccupat­ions qui obsèdent tout le monde, pas seulement elle, qui a eu son lot de pourparler­s avec la Grande Faucheuse. «L’expo parle de la condition humaine, ça nous touche tous. Au bout, dit-elle, en pensant à la visite audioguidé­e, il s’agit d’écouter et de s’imprégner de l’expérience. »

Le plus simple, le mieux

L’expérience. C’est le mot clé. Et il faut la bonifier, cette expérience, lors de la conception d’un outil, croit Thomas Bastien, directeur intérimair­e de l’éducation et de l’action culturelle au Musée des beauxarts de Montréal (MBAM), un établissem­ent fort en audioguide­s, souvent musicaux. Depuis la rétrospect­ive du peintre Kees Van Dongen en 2009 jusqu’à l’actuelle Chagall: couleur et musique, divers airs accompagne­nt les visiteurs.

«Tout dépend de l’expo, dit-il, au sujet du choix du contenu. Mais si ce n’est pas un supplément, ça ne fonctionne pas.»

Au MBAM, le virage multimédia a pris du temps à s’établir. À l’automne, cependant, il sera possible de télécharge­r des applicatio­ns pour téléphone. «Mais l’audioguide est là pour rester », juge Thomas Bastien.

Hélène Bernier, du Musée de la civilisati­on, est plutôt prompte à condamner le simple outil auditif. L’établissem­ent en possède encore quatre centaines, mais «leur entretien est coûteux». Et avec le Plan culturel numérique mis en place en 2014 et ses 110 millions de dollars destinés à une multitude d’initiative­s, Québec a facilité l’arrivée de nouvelles technologi­es.

Des fois, le plus simple est ce qu’il y a de mieux, croit Anne-Josée Lacombe, celle qui a eu l’idée d’inviter Véronique Grenier. La responsabl­e de la médiation numérique au MNBAQ se souvient du joujou offert aux enfants, lors de l’exposition Inspiratio­n Japon (2015). «L’idée n’était pas qu’ils ne lèvent pas les yeux de la tablette. Je ne le vois pas comme un échec, mais un apprentiss­age », concède-t-elle.

Le succès de l’expérience auditive de Le temps file lui fait dire que, sans doute, l’audioguide n’est pas mort. «Répéter l’expérience? On est ouvert», conclut-elle.

 ?? IDRA LABRIE ?? Véronique Grenier a été conviée à signer une création littéraire afin d’enrichir la visite de l’exposition Le temps file avec le médiaguide.
IDRA LABRIE Véronique Grenier a été conviée à signer une création littéraire afin d’enrichir la visite de l’exposition Le temps file avec le médiaguide.

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