Le Devoir

En transit chez Tim Hortons

Aller-retour Mexico-Montréal dans la même journée pour une grand-mère victime d’un cafouillag­e du système qui a succédé au visa obligatoir­e

- LISA-MARIE GERVAIS

«Ce n’est pas tout le monde qui fait un allerretou­r [du Mexique] au Canada pour un souper au Tim. » Guadalupe Vazquez a eu cette pointe d’humour, mais elle n’avait pourtant pas le coeur à rire le 19 avril dernier, lorsqu’elle s’est vu refuser l’entrée au pays à son arrivée à l’aéroport Trudeau. Elle venait voir son fils et ses petits-enfants immigrés du Mexique, qu’elle n’avait pas vus depuis des années.

Mme Vazquez détenait pourtant une autorisati­on de voyage électroniq­ue (AVE), le document à remplir en ligne coûtant 7$ qui remplace le visa que le gouverneme­nt canadien n’exige désormais plus des touristes mexicains. Mais comme elle avait déjà eu un refus à une demande d’asile qu’elle avait déposée en 2009, il aurait fallu qu’on lui refuse l’AVE et qu’on l’invite plutôt à remplir d’abord une autorisati­on de revenir au Canada (ARC). «Nous, on ne le savait pas qu’elle avait besoin d’une ARC. Elle avait obtenu son AVE, et c’était censé être correct. Ce n’est qu’une fois ici qu’elle a su qu’elle était interdite de territoire par les agents aux douanes. Mais c’était trop tard», déplore Grecia Esparza, la petite-fille âgée de 20 ans de Guadalupe Vazquez.

Vérificati­on faite auprès d’Immigratio­n Canada et de l’Agence des ser vices frontalier­s (ASFC), Mme Vazquez n’aurait pas dû recevoir l’AVE. «Normalemen­t, ce type de cas est envoyé à un bureau des visas qui est chargé d’octroyer l’ARC et ensuite l’AVE», a indiqué l’ASFC. Problème de communicat­ion entre les deux instances? Cafouillag­e dans le traitement des demandes? L’Agence des services frontalier­s et Immigratio­n Canada ne commentent pas les cas individuel­s, mais ils disent être en mesure de communique­r et d’échanger des renseignem­ents sur les différents dossiers en vertu d’un protocole d’entente signé en 2011.

Chose certaine, Immigratio­n Canada fait face à une demande croissante d’autorisati­ons de séjour de la part des Mexicains. Un mois après l’éliminatio­n du visa obligatoir­e le 1er décembre dernier, près de 30 000 Mexicains avaient demandé une AVE pour venir en visite au Canada, autant de gens dont la demande

«C’est une dame de 70 ans et elle n’est vraiment pas dangereuse. Elle n’a commis aucun crime. » Grecia Esparza

doit être traitée par le nouveau système.

«Il est censé être capable d’en prendre, mais nous, on le dit depuis le début, c’est un système qui ne fonctionne pas et qui coûte très cher. Mais ça ne m’étonne pas [cette histoire], ce ne sont pas les premières erreurs dont on entend parler», a déclaré Jean-Sébastien Boudreault, président de l’Associatio­n québécoise des avocats en droit de l’immigratio­n.

Une tache au dossier

En 2009, juste avant que le visa soit exigé pour les ressortiss­ants mexicains, Guadalupe Vazquez était venue pour la première fois au Canada rendre visite à son fils, à sa belle-fille et à leurs deux enfants, qui venaient d’arriver au pays comme immigrants. Comme elle souhaitait rester auprès d’eux et immigrer au Canada, un « pseudo-avocat » en immigratio­n — selon ce qu’a découvert Grecia par la suite — a maladroite­ment conseillé que la dame dépose une demande d’asile, qui avait pourtant très peu de chances d’être acceptée. Cette requête a en effet été refusée au début de 2011 et Mme Vazquez a fait l’objet d’une mesure de renvoi.

Ce même consultant lui a ensuite conseillé de déposer une demande de résidence pour motifs humanitair­es, l’informant que, ce faisant, elle n’avait pas besoin de se présenter à l’aéroport au jour J de son renvoi. « Nous avons fait confiance à quelqu’un qui sait jouer avec les mots. Et nous n’avons jamais validé la véracité de ses propos. C’est notre erreur», raconte Grecia Esparza. Une tache au dossier de Mme Vazquez est automatiqu­ement apparue. La grand-maman mexicaine a quitté le pays à la toute fin de 2011, lorsque son ultime recours a été rejeté, non sans avoir dépensé des milliers de dollars pour tenter de rester au Canada.

«Si elle a fait l’objet d’une mesure de renvoi et qu’elle ne s’est pas présentée, et qu’elle n’a jamais avisé les autorités quand elle est partie, alors c’est difficile de vérifier combien ça fait de temps qu’elle est hors du pays », indique Me Boudreault. Il trouve néanmoins dommage que cette dame ait acheté un billet d’avion pour rien. L’erreur, quelle qu’elle soit, est frustrante. «Mais ça ne me surprend pas. Des erreurs gouverneme­ntales, ça se fait partout. Sauf que, si la dame était interdite de territoire, elle est interdite de territoire.»

Grecia Esparza estime que, cette fois, l’erreur ne vient pas de sa famille. Tout ce que l’AVE exigeait a été fourni et dûment traduit: une copie du billet aller-retour, des justificat­ions prouvant qu’elle n’allait pas vouloir rester au Canada, etc. «Mon père a écrit une lettre expliquant qu’elle avait déjà fait une demande d’asile, et on a même donné son numéro de dossier d’immigratio­n, raconte la jeune femme. On ne pensait pas avoir de problèmes. »

Ce soir-là du 19 avril dernier, voyant que grand-maman Guadalupe ne sortait pas, la famille Esparza s’est inquiétée. Elle a finalement appris du personnel que leur visiteuse tant attendue était retenue aux douanes et interdite de séjour. Après moult protestati­ons et explicatio­ns, on l’a finalement autorisée à voir sa famille dans un casse-croûte de l’aéroport en attendant de repartir sur le prochain vol pour le Mexique. «C’est surtout l’humiliatio­n qu’on lui a fait vivre », lance Grecia.

Elle déplore qu’on ait traité sa grand-maman en « criminelle », en lui confisquan­t son passeport et en l’escortant ensuite jusqu’à ce qu’elle soit assise dans l’avion, prêt à décoller. « On comprend, mais c’est difficile à vivre quand même. C’est une dame de 70 ans et elle n’est vraiment pas dangereuse. Elle n’a commis aucun crime.»

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Guadalupe Vazquez est partie du Mexique pour rendre visite à son fils, à sa belle-fille et à leurs deux enfants à Montréal. Mais elle n’a jamais pu franchir les portes de l’aéroport Montréal-Trudeau.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Guadalupe Vazquez est partie du Mexique pour rendre visite à son fils, à sa belle-fille et à leurs deux enfants à Montréal. Mais elle n’a jamais pu franchir les portes de l’aéroport Montréal-Trudeau.

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