Le Devoir

Artisans de notre malheur

La destructio­n des milieux humides contribue aux inondation­s

- MARCO BÉLAIR-CIRINO DAVE NOËL à l’Assemblée nationale

L es milliers de Québécois touchés par les inondation­s paient le lourd prix du développem­ent effréné des milieux humides et hydriques des cinquante dernières années, constate avec regret Canards illimités Canada. L’organisme de bienfaisan­ce reproche au ministère de l’Agricultur­e de s’en être fait le complice.

Entre 40% et 80% de la superficie des milieux humides au Québec aurait disparu depuis la fondation de la Nouvelle-France, selon la littératur­e scientifiq­ue. Dans la grande région de Montréal, ce serait plus de 85% de cette superficie qui aurait été saccagée. «Bien que les pertes historique­s de milieux humides n’aient pu être documentée­s de manière directe, ces chiffres sont certaineme­nt réa-

listes puisqu’ils correspond­ent aux estimation­s avancées pour d’autres régions de l’Amérique du Nord », ont souligné les auteures d’un rapport d’analyse de la situation des milieux humides au Québec, Stéphanie Pellerin (Université de Montréal) et Monique Poulin (Université Laval).

La superficie totale de milieux humides s’élève aujourd’hui à 189 593 km2, soit 12,5 % du territoire québécois. Cette proportion baisse à 9,5% du territoire dans les basses terres du Saint-Laurent.

En milieu riverain, les tourbières agissent à titre de zone tampon lors de la fonte des neiges ou encore de pluies abondantes, puisqu’elles absorbent les surplus d’eau avant de les laisser, par la suite, lentement s’écouler. «Les milieux humides ont un rôle de gestion de l’eau à partir de l’amont vers l’aval. Donc, plus tu retiens de l’eau dans ton paysage, moins elle va arriver vite dans la plaine inondable. Mais c’est sûr que, quand les phénomènes s’alignent avec un hiver avec beaucoup de neige, des précipitat­ions importante­s, une fonte qui s’accélère… eh bien, on se retrouve avec la situation actuelle», a fait valoir le directeur de Canards illimités Canada, Bernard Filion, lors de l’étude du projet de loi 132 à l’Assemblée nationale, mercredi.

Il a accusé le ministère de l’Agricultur­e de complicité dans la destructio­n des berges du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents en drainant des eaux. « Les conséquenc­es de ces travaux de cours d’eau furent d’augmenter sensibleme­nt la densité des cours d’eau sur le territoire, d’augmenter la capacité de transport et d’évacuation de l’eau et, par le fait même, d’augmenter la capacité de transport des sédiments, a expliqué M. Filion. Mais il faut tout de même se rappeler et prendre acte que les paysages de la vallée du Saint-Laurent ont été fortement perturbés, qu’ils connaissen­t toujours des pressions et que c’est la réalité avec laquelle nous devons composer. »

Le projet de loi concernant la conservati­on des milieux humides et hydriques pose le principe «d’aucune perte nette de milieux humides et hydriques ». Il prévoit notamment «la possibilit­é d’exiger, pour certains types d’interventi­on dans des milieux humides et hydriques, une compensati­on comme condition à la délivrance d’une autorisati­on lorsqu’il n’est pas possible d’éviter, de réduire ou d’atténuer l’atteinte aux milieux». Ces « compensati­ons » seraient versées au Fonds de protection de l’environnem­ent et du domaine hydrique de l’État afin de financer des programmes de restaurati­on et de création de milieux humides et hydriques.

Par ailleurs, le projet de loi 132 octroie au ministre de l’Environnem­ent la possibilit­é de « conserv[er] à titre d’aire protégée» ou de frapper d’«une autre mesure de conservati­on» des milieux se distinguan­t par leur intégrité, leur rareté ou encore leur superficie.

Le représenta­nt de Canards illimités s’explique mal pourquoi des dizaines de milliers de Québécois élisent domicile dans une zone inondable, même dite « de récurrence 100 ans ». « Les gens ne réalisent pas ou ne comprennen­t pas ce que ça veut dire: une récurrence centenaire, c’est une chance sur cent qu’un phénomène se produise, mais il peut se produire trois ans d’affilée », a-t-il lancé en commission parlementa­ire.

L’Associatio­n des profession­nels de la constructi­on et de l’habitation du Québec (APCHQ) « accueille positiveme­nt » le projet de loi 132. «On pourrait [supposer] que les constructe­urs de maisons neuves sont réfractair­es au présent projet, car il crée une barrière possible à la constructi­on résidentie­lle, mais je tiens à vous préciser que l’APCHQ […] invite les parlementa­ires à l’adopter… en intégrant bien sûr nos recommanda­tions », a indiqué l’entreprene­ur en constructi­on Stephen Boutin.

Le ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel, s’en est réjoui. « De voir que sur les principes, aujourd’hui, on a Canards illimités et l’APCHQ du même côté, c’est quand même quelque chose d’intéressan­t à souligner», a-t-il fait valoir.

M. Boutin a profité de son passage en commission parlementa­ire pour «partager [les] pensées et offrir [le] soutien [des membres de l’APCHQ] aux nombreuses personnes affectées par les inondation­s ». «C’est un sujet d’actualité, il faudra du courage et de la résilience pour surmonter une telle épreuve. Nous sommes de plein coeur avec eux», at-il déclaré aux membres de la Commission des transports et de l’environnem­ent.

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