Le Devoir

Valeurs mobilières

Ottawa essuie un nouveau revers

- FRANÇOIS DESJARDINS

Pour une deuxième fois, la Cour d’appel du Québec juge que le projet d’une commission pancanadie­nne de valeurs mobilières est inconstitu­tionnel, mais le gouverneme­nt fédéral souhaite analyser la décision avant de la commenter en profondeur.

Après le naufrage de la première mouture du projet en 2011, aux portes de la Cour suprême, le gouverneme­nt fédéral est revenu à la charge avec une version modifiée. La décision de la Cour d’appel rendue mercredi découle d’une demande soumise par Québec en 2015.

Le projet d’agence unique, estime Ottawa, permettrai­t de simplifier la réglementa­tion et de donner au Canada une seule voix forte sur les tribunes internatio­nales. L’Ontario et plusieurs provinces ont donné leur appui, mais l’Alberta et le Québec, qui comptent pour 40% de la capitalisa­tion boursière du pays, refusent d’y adhérer, car ils souhaitent garder leur influence sur les spécificit­és régionales.

« Il est bien établi qu’un transfert direct inconstitu­tionnel» d’un pouvoir à l’autre est La Cour d’appel du Québec dans son jugement

Les juges ont écrit que le projet, tel que proposé par Ottawa dans la Loi sur la stabilité des marchés des capitaux, n’est pas autorisé par la Constituti­on, mais qu’il n’excède pas non plus la compétence du Parlement, sauf pour certains articles qui «rendent la loi proposée inconstitu­tionnelle dans son ensemble s’ils n’en sont pas retirés ».

En gros, le projet fédéral consistera­it à remplacer les agences réglementa­ires des provinces participan­tes par une nouvelle autorité. Celle-ci serait dotée d’un conseil des ministres. Or la Cour d’appel du Québec a mentionné mercredi matin qu’«il est bien établi qu’un transfert direct d’un pouvoir à l’autre est inconstitu­tionnel».

La Cour d’appel a affecté cinq juges à la cause : Nicole Duval Hesler, Jean Bouchard, Manon Savard, Robert M. Mainville et Mark Schrager.

Les quatre premiers juges sont du même avis, mais le juge Schrager a fait bande à part. Il n’a pas voulu répondre à la première question, portant sur la constituti­onnalité du projet. Sur la deuxième, il estime lui aussi que le projet n’excède pas la compétence du Parlement, mais ne partage pas l’avis de ses collègues selon lesquels les articles portant sur le conseil des ministres rendent la loi inconstitu­tionnelle.

Les quatre juges qui ont exprimé une opinion consensuel­le ont écrit que «les règlements fédéraux approuvés par le conseil des ministres s’appliquero­nt aux provinces non participan­tes sans

que ces dernières aient un droit de vote au sein dudit conseil ».

Ottawa veut réfléchir

Invité à faire un commentair­e, le cabinet Morneau a dit qu’Ottawa «a un rôle à jouer dans la gestion des risques systémique­s» sur les marchés. « Nous nous acquittons de cette responsabi­lité dans le tout respect des compétence­s provincial­es et territoria­les ainsi que du choix des provinces comme le Québec qui choisissen­t de ne pas participer. Nous examineron­s attentivem­ent la décision d’aujourd’hui et nous réagirons en temps opportun», a indiqué par courriel le directeur des communicat­ions du ministre Morneau, Daniel Lauzon.

Même cause

Dans son mémoire soumis à l’été 2016, la procureure générale du Québec (PGQ) avait déploré qu’Ottawa continue de vouloir implanter une commission qui soit essentiell­ement la même que celle jugée invalide par la Cour suprême en décembre 2011.

La Cour suprême avait indiqué au gouverneme­nt Harper que le secteur des valeurs mobilières est de compétence provincial­e. Les juges avaient cependant ouvert une porte et suggéré une «approche coopérativ­e», axée par exemple sur la gestion des risques systémique­s. Ottawa est par la suite revenu à la charge en reprenant cette suggestion.

Une bonne partie du milieu des affaires du Québec craint une perte d’expertise et des capacités décisionne­lles dans le secteur financier, ce qui s’accompagne­rait d’une plus grande concentrat­ion du pouvoir financier à Toronto. En novembre 2016, plusieurs acteurs connus ont fait parvenir une lettre au ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, lui demandant d’abandonner le projet. Le cabinet Morneau avait indiqué au Devoir qu’Ottawa «a l’intention de s’acquitter de ses responsabi­lités dans le respect des provinces, qu’elles choisissen­t d’y participer ou non».

«Le protocole d’accord envisage une transforma­tion du fédéralism­e qui ne peut être mise en place qu’au moyen d’une modificati­on constituti­onnelle », a estimé la PGQ dans son mémoire à l’été 2016, et «donnera nécessaire­ment lieu à une relation hiérarchiq­ue entre [la nouvelle entité] et les administra­tions des provinces non participan­tes ». Selon la PGQ, le nouveau projet a de «profondes ressemblan­ces» avec celui de 2011.

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