Québec se dit «préoccupé» par le déclin des populations de caribous migrateurs
La province n’entend toutefois pas modifier le statut de l’espèce
Même si le comité fédéral sur les espèces en péril évalue que le caribou migrateur du Québec est carrément en voie de disparition, le gouvernement Couillard n’a pas l’intention de réévaluer son statut en vue de l’inscrire dans sa Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, a appris Le Devoir. Les mesures de protection de ces cervidés pourraient entrer en conflit avec le développement industriel sur le territoire du Plan Nord.
Après avoir évalué pour la première fois le caribou migrateur, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a recommandé la semaine dernière de l’inscrire comme espèce « en voie de disparition ». Il s’agit du statut le plus sévère de la Loi sur les espèces en péril, avant la désignation comme espèce «disparue du pays».
La situation des deux importants troupeaux du Québec est de plus en plus critique, selon le COSEPAC. Dans le cas de celui de la rivière George, le déclin est gigantesque. Alors qu’il comptait plus de 800 000 bêtes au début des années 1990, on ne dénombre désormais pas plus de 9000 bêtes, selon les derniers recensements. Le recul s’élève donc à 99% sur une période de 25 ans.
L’autre troupeau, celui de la rivière aux Feuilles, est passé de 430 000 têtes en 2011 à 200 000 en 2016, un recul de plus de 50 % en à peine cinq ans.
Malgré les reculs majeurs constatés depuis déjà quelques années, «le caribou migrateur n’est pas concerné par un statut ou une désignation» en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec, selon les informations inscrites sur le site du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). Et même si la recommandation du COSEPAC témoigne de l’urgence d’agir pour éviter la disparition de l’espèce au Québec, le MFFP a indiqué au Devoir qu’il n’a pas l’intention pour le moment de réévaluer son statut.
Selon ce que précise par ailleurs le ministère, Québec «a amorcé l’élaboration d’un plan de gestion et de conservation du troupeau de la rivière George afin de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour préserver le troupeau». Un autre «plan de gestion» est en cours d’élaboration pour le troupeau de la rivière aux Feuilles.
Le MFFP reconnaît en outre que « la situation des caribous des troupeaux de la rivière aux Feuilles et de la rivière George est préoccupante », mais aussi qu’il a «la responsabilité d’appliquer des mesures de gestion qui permettront de favoriser la pérennité d’une espèce de grande importance pour les écosystèmes nordiques et pour les autochtones du Québec».
En 2012, par exemple, la «chasse sportive» a été « fermée » pour le troupeau de la rivière George. Elle est toujours permise pour le troupeau de la rivière aux Feuilles, mais les quotas ont été réduits cette année.
Statut à réviser
Spécialiste de l’espèce et coauteur du rapport qui a guidé les recommandations du COSEPAC, Marco Festa-Bianchet estime que la situation de l’espèce au Québec est «critique». Selon les données scientifiques recueillies au fil des ans, « tout laisse croire que le déclin des deux troupeaux va se poursuivre». Il juge donc que le gouvernement du Québec devrait « revoir le statut du caribou migrateur ».
Même son de cloche du côté de la Société pour la nature et les parcs. Son directeur général, Alain Branchaud, rappelle d’ailleurs que le Québec a déjà utilisé les recommandations du COSEPAC pour revoir le statut d’espèces menacées au Québec. Il pourrait faire de même avec ce cervidé, selon lui.
Le hic, c’est que le fait de vouloir protéger davantage l’habitat essentiel de l’espèce pourrait imposer des contraintes pour le développement minier, routier et ferroviaire du territoire nordique québécois. Et le caribou migrateur utilise de vastes territoires, notamment dans le secteur de la Fosse du Labrador, très convoité pour son potentiel minier. Plusieurs entreprises y développent déjà des projets ou détiennent des permis d’exploration.
«Certains doivent voir la protection du caribou comme un obstacle au développement du Plan Nord, souligne M. Branchaud. Si l’espèce est inscrite dans la Loi sur les espèces en péril et qu’on désigne des habitats essentiels, ça pourrait effectivement devenir une contrainte.» Une telle inscription imposerait des obligations de protection de l’habitat essentiel pour l’espèce.
Malgré la promesse de protéger 50% du territoire du Plan Nord d’ici 2050, le gouvernement Couillard tarde toujours à atteindre la première cible, fixée à 20% d’ici 2020. À l’heure actuelle, à peine 11% de ce vaste territoire est protégé.