Le Devoir

Chronique d’une gifle annoncée

- MICHEL DAVID

La classe politique québécoise et le milieu des affaires ont été «profondéme­nt

déçus » d’apprendre que la future Banque de l’infrastruc­ture du Canada s’installera à Toronto. En revanche, personne n’a semblé surpris. On demandait simplement de recevoir la gifle.

Lors du dépôt de son deuxième budget, en mars dernier, le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, avait déclaré que la décision n’était pas encore prise. Plusieurs ont pensé que M. Morneau voulait surtout éviter qu’il soit assombri par la controvers­e que le choix de la Ville reine ne manquerait pas de provoquer.

Il n’est pas nécessaire d’être un grand spécialist­e de la communicat­ion pour comprendre qu’il était préférable de noyer cette annonce dans les inondation­s qui monopolisa­ient toute l’attention. On ne commencera quand même pas une nouvelle chicane fédérale-provincial­e pour une simple banque, alors que des milliers de familles sont dans le malheur et qu’Ottawa a la bonté d’envoyer l’armée à leur secours !

Comme d’habitude, on a prévu un prix de consolatio­n. Montréal abritera le nouvel Institut de financemen­t du développem­ent (IFD), qui offrira des prêts totalisant 300 millions au cours des cinq prochaines années à des entreprise­s d’ici et d’ailleurs engagées dans des projets dans des pays en développem­ent.

En comparaiso­n, la Banque de l’infrastruc­ture disposera d’un budget de départ de 35 milliards. Le maire Coderre était tout sourire, vendredi, quand il s’est présenté en conférence de presse en compagnie de Justin Trudeau pour l’annonce de l’installati­on de l’IFD dans la métropole, mais ce marché de dupes devait le faire bouillir intérieure­ment.

«On est déçus parce qu’on avait rallié toute la communauté, a déclaré le premier ministre Couillard. Tous les partenaire­s d’affaires étaient d’accord [pour dire] que Montréal était le site

idéal pour cette implantati­on-là.» S’il est indéniable que Montréal possédait tous les atouts nécessaire­s, Toronto pouvait aussi faire valoir une expertise. Le problème n’est pas la compétence, mais la faiblesse du poids politique du Québec.

L’important est qu’on ait accès à l’argent de la Banque de l’infrastruc­ture et non son emplacemen­t, a fait valoir l’ineffable ministre du Patrimoine, Mélanie Joly. À ce compte, pourquoi fait-on autant de chichi chaque fois qu’un siège social quitte le Québec? Même si celui de Saint-Hubert devait un jour déménager en Ontario, cela ne nous empêcherai­t pas de continuer à manger son poulet !

Le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain, Michel Leblanc, a posé son diagnostic: personne à Ottawa ne semble défendre les intérêts du Québec. « Dans un dossier comme celui-là, ça prend des champions qui agissent avec tout l’élan nécessaire. On a vu le ministre des Finances, Bill Morneau, de Toronto, travailler pour sa ville. Mais à Ottawa, qui défendait Montréal? Sur les grands dossiers stratégiqu­es et économique­s, qui est la voix du Québec à Ottawa ? Pour l’instant, personne », a-til déclaré.

La faiblesse de la représenta­tion du Québec à Ottawa, que ce soit au Conseil des ministres ou dans l’entourage de M. Trudeau, saute en effet aux yeux. On l’a bien vu dans le dossier de Bombardier. Marc Garneau a été totalement écarté du dossier au profit de M. Morneau. Pourquoi le ministre des Transports s’intéresser­ait-il à la fabricatio­n des avions, n’est-ce pas ?

S’il est vrai qu’on ne trouve aucune trace d’un quelconque French power au sein du gouverneme­nt Trudeau, il est tout aussi manifeste que la perspectiv­e de déplaire au Québec n’inspire plus la moindre crainte à Ottawa, où on sait très bien que la souveraine­té est en hibernatio­n et que M. Couillard est prêt à tout pour l’y maintenir.

Malgré la déception qu’a pu lui causer l’installati­on de la Banque de l’infrastruc­ture à Toronto, le premier ministre s’est bien gardé de toute critique. Il l’a déjà dit: son « devoir » lui commande de bien s’entendre avec le gouverneme­nt fédéral. De toute façon, il lui suffit de savoir que le Québec reçoit plus d’argent d’Ottawa qu’il n’en envoie pour conclure qu’il est avantageux de faire partie de la fédération. Il ne semble d’ailleurs faire aucune différence entre des milliards investis dans l’industrie automobile ou pétrolière et des milliards versés en péréquatio­n. Alors, ce n’est pas une banale histoire de banque qui va le troubler.

La position de faiblesse dans laquelle un fédéralism­e aussi inconditio­nnel place le Québec n’en est pas moins inquiétant­e au moment où la renégociat­ion de l’ALENA amènera inévitable­ment Ottawa à faire des concession­s pour satisfaire les exigences de Donald Trump. Ce qui exigera aussi des arbitrages entre les intérêts des diverses régions du pays. Ceux qui ont dû être faits pour permettre la signature de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne n’ont rien de rassurant. La prochaine gifle pourrait faire encore plus mal.

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