Le Devoir

La police de proximité serait moins efficace contre la radicalisa­tion

- LISA-MARIE GERVAIS

Très décentrali­sée en postes de quartier, axée sur les stratégies de proximité dans le but de créer des liens avec la communauté, la police montréalai­se connaît de beaux succès. Mais dans un contexte de radicalisa­tion, sa lutte pourrait s’avérer moins efficace avec une telle structure.

Dans le cadre de ses recherches exploratoi­res, Véronique Laprise, doctorante en études du religieux contempora­in à l’Université de Sherbrooke, a comparé dans les grandes villes canadienne­s les diverses stratégies des corps policiers qui doivent maintenant composer avec le phénomène montant de la radicalisa­tion menant à la violence.

«En l’absence de perspectiv­es communes en sécurité publique canadienne, les services policiers improvisen­t localement», a-t-elle observé.

Même si ces stratégies «maison» ne sont pas mauvaises en soi, elles constituen­t des obstacles lorsque surgit un cas réel d’individu qui se radicalise. «La lutte contre les extrémisme­s violents, c’est canadien. Il faut que l’enquêteur puisse sortir de son milieu et faire des liens avec d’autres corps policiers. Ce n’est pas le policier tout seul dans son poste de quartier qui va pouvoir le faire », soutient Mme Laprise, qui a agi comme officière des finances et conseillèr­e-analyste en sécurité au sein des Forces armées canadienne­s.

La diversité des stratégies peut compliquer la communicat­ion. «Regardons simplement le SPVM et la police de Longueuil: ils n’ont pas les mêmes postes de vis-à-vis qu’ils peuvent appeler. Ils n’ont peut-être même pas la même définition d’un individu qui se radicalise et la même vision de la prévention », explique-t-elle.

Cette différence s’accentue quand on compare les initiative­s et les stratégies de lutte d’ici avec celles dans le reste du Canada. Et peut rendre moins efficace la lutte à l’échelle du pays, voire à l’échelle de la planète.

«Au Québec, c’est le Centre de prévention de la radicalisa­tion [menant à la violence] qui gère les signalemen­ts. Ce n’est même pas la police», contrairem­ent à ce qui se fait à Toronto.

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Il faut que l’enquêteur puisse sortir de son milieu et faire des liens avec d’autres corps policiers Véronique Laprise, doctorante à l’Université de Sherbrooke

Quelques incohérenc­es

Au fil de ses recherches, la chercheuse a remarqué quelques incohérenc­es dans la façon dont est organisé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), très décentrali­sé et axé sur les relations avec la communauté pour prévenir et sensibilis­er. «Mais est-ce que c’est suffisant pour lutter contre l’extrémisme violent? C’est clair que non », soutient la chercheuse.

L’une d’elles vient du fait que les corps de police éparpillés géographiq­uement sur leur territoire sont certes très au courant des particular­ités de leur milieu, mais ratent à l’occasion des comporteme­nts de radicalisa­tion. « La radicalisa­tion, ça se fait beaucoup dans le virtuel, sur Internet. Ça dépasse les frontières du quartier», rappelle Mme Laprise.

Autre incohérenc­e: la police de proximité qui base son interventi­on sur le dialogue ne peut rien contre un individu ou un groupe radicalisé qui est justement en rupture avec son milieu.

«Si tu es un policier habitué à être dans une logique de négociatio­n avec la communauté, comment vas-tu ouvrir le dialogue avec une partie qui est rigide et comprendre son fonctionne­ment interne?» demande la chercheuse. Elle propose l’introducti­on de chercheurs spécialist­es du phénomène au sein du corps policier. Et encore beaucoup de recherche qu’elle se promet de mener.

 ?? OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR ?? L’organisati­on policière montréalai­se atteint ses objectifs communauta­ires, estime la chercheuse Véronique Laprise. Elle ne permettrai­t cependant pas de dépister les individus radicalisé­s.
OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR L’organisati­on policière montréalai­se atteint ses objectifs communauta­ires, estime la chercheuse Véronique Laprise. Elle ne permettrai­t cependant pas de dépister les individus radicalisé­s.
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