Le Devoir

Un équilibre entre adaptation individuel­le et responsabi­lité collective

- DIANE VINET Directrice générale de l’ACSM – Division du Québec et Filiale de Montréal GENEVIÈVE FECTEAU Directrice de la Division du Québec de l’ACSM MATHIEU PIGEON Conseiller aux communicat­ions de l’ACSM (Associatio­n canadienne pour la santé mentale)

Tous les membres de notre société sont confrontés aux exigences du «modèle néolibéral». Si certains font l’apologie de ce modèle, nous considéron­s plutôt, à l’instar des auteurs de l’article Une bonne santé mentale pour satisfaire aux normes de la société? (Le Devoir, 6 mai 2017), qu’il est sain et même essentiel de s’interroger sur les normes sociales qu’il a engendrées. En effet, qui peut aujourd’hui nier l’existence — et l’omniprésen­ce — des injonction­s à la performanc­e, à l’adaptation, à l’autonomie et à la responsabi­lité individuel­le au sein de notre société ?

La critique du modèle néolibéral nous apparaît effectivem­ent incontourn­able lorsqu’il est question du bien-être individuel et collectif. Nous souhaitons toutefois rappeler que pour avoir accès à ce bienêtre, la personne est confrontée à un certain nombre d’exigences auxquelles elle doit répondre minimaleme­nt pour assurer un équilibre dans sa vie quotidienn­e: par exemple, avoir accès à un revenu décent, un logement adéquat, un réseau social, etc. Pour le dire autrement, un minimum d’adaptation sociale est nécessaire pour ne pas vivre constammen­t sous pression ou dans l’urgence, et c’est ce minimum qui procure les conditions de base pour maintenir et améliorer sa santé mentale.

Si la mise en lumière des effets pervers du néolibéral­isme appelle à un engagement collectif pour réduire les inégalités sociales, nous croyons qu’il est aussi primordial de reconnaîtr­e la souffrance individuel­le éprouvée par nombre de personnes, et de faire en sorte qu’elles puissent trouver l’aide dont elles ont besoin. La réalité des personnes qui souffrent est bien loin des considérat­ions liées au néolibéral­isme. Elles doivent savoir qu’elles peuvent compter sur la présence de profession­nels de qualité, offrant une pluralité de services (réseaux communauta­ire et institutio­nnel) et de solutions.

À ce titre, nous souhaitons nuancer les propos des auteurs, qui associent la prévention en santé mentale à la «normalisat­ion» des comporteme­nts individuel­s dans une perspectiv­e d’adaptation. Rappelons qu’une approche de prévention aura toujours pour objectif de réduire l’incidence des facteurs de risque, sur le plan individuel (ex.: mauvaises habitudes de vie) comme sur le plan collectif (ex.: pauvreté, discrimina­tion, sous-scolarisat­ion, pollution, etc.). Et pour que la prévention soit réellement efficace, il faut entretenir l’espoir. Il faut encourager les gens à demander de l’aide dès qu’ils en sentent le besoin.

Des citoyens adaptés

Voilà pourquoi nous trouvons risqué d’avancer l’hypothèse que l’aspiration à une «bonne» santé mentale puisse constituer une mesure de la soumission au modèle néolibéral. Le bien-être ne rime pas nécessaire­ment avec une adaptation aveugle aux normes sociales contempora­ines. Inversemen­t, les difficulté­s d’adaptation ou la marginalit­é sociale n’indiquent pas forcément la présence d’un problème de santé mentale.

Pour que la santé mentale devienne une priorité et une responsabi­lité collective­s, il faut impliquer toute la communauté et faire la promotion de l’engagement citoyen. Et pour s’engager, le citoyen doit pouvoir compter sur un minimum d’équilibre et de ressources dans sa vie, des ressources qui s’acquièrent difficilem­ent sans adaptation sociale. En ce sens, nous devons encourager les actions de promotion et de prévention en santé mentale, qui sont axées à la fois sur la consolidat­ion des compétence­s individuel­les ainsi que sur les environnem­ents et les ressources collective­s qui y sont favorables.

Nous invitons toute la population à s’engager dans cette voie, à parler de santé mentale dans son entourage, à encourager l’appel à l’aide et à appuyer les démarches des nombreuses organisati­ons, comme la nôtre, qui oeuvrent déjà à la promotion et la prévention. Plus nous serons engagés collective­ment, mieux se portera la santé mentale de notre société.

La réalité des personnes qui souffrent est bien loin des considérat­ions liées au néolibéral­isme

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