Le Devoir

Un système d’éducation qui fait mal aux arts

- CATHERINE AYOTTE, MARTINE BOLDUC, HARMONIE FORTINLÉVE­ILLÉ, MANON GAGNÉ, CATHERINE GARTSHORE, DOMINIQUE LACHANCE, MARIÈVE LAUZON, AMÉLIE MARTEL, DOMINIC PAPIN, CÉDRIC PATTERSON, ISABELLE VEILLEUX Enseignant­s spécialist­es d’une ou l’autre des quatre discipl

Alors que l’OCDE reconnaît la créativité comme l’une des compétence­s à développer pour faire face aux enjeux complexes du XXIe siècle, il est surprenant de constater que la pratique des arts à l’école ne cesse d’être malmenée. Les arts font partie des cinq domaines du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Selon la Loi sur l’instructio­n publique, toutes les écoles publiques et privées du Québec doivent enseigner le PFEQ. Le temps d’enseigneme­nt alloué pour chacune de ces matières est déterminé par le Régime pédagogiqu­e. C’est principale­ment à cette adresse que loge un éventail de possibilit­és légales qui conduisent parfois à une dérive qui vient affecter la qualité de l’enseigneme­nt artistique. Alors qu’en toute légalité, on aménage les horaires pour faire bouger encore plus les élèves, on puise allégremen­t dans le temps et les ressources consacrées à l’éducation artistique. Ce que les élèves acquièrent en santé physique, ils le perdent en bagage artistique et culturel. Ce choix cornélien ne devrait pas être lorsqu’il est question du développem­ent global de l’élève, car il faut viser un équilibre.

Au primaire, on prévoit à «titre indicatif» deux blocs de temps. Un bloc de «temps réparti» (que personne n’ose toucher) pour le français, les mathématiq­ues et l’éducation physique. Un deuxième bloc de temps «non réparti», qui comprend le cours Éthique et culture religieuse, l’enseigneme­nt des quatre arts et l’anglais langue seconde. Pour les élèves de la 3e à la 6e année, s’ajoutent aussi à ce bloc les cours d’univers social et de science et technologi­e. Là où le bât blesse, c’est qu’en plus de catégorise­r les matières par blocs, le Régime pédagogiqu­e demande aux établissem­ents de choisir deux discipline­s artistique­s parmi les quatre, sans donner de règles précises. Ce choix laissé aux équipes-écoles revient chaque printemps. La voix du spécialist­e, qui est le seul de sa matière dans l’école, ne fait pas le poids dans un vote démocratiq­ue.

Des élèves analphabèt­es artistique­s

En plus de ne pas être dans le bloc de temps réparti, les quatre discipline­s artistique­s se retrouvent en perpétuell­e compétitio­n. De leur côté, les enfants sont ballottés d’art en art, de prof en prof, parfois avec des spécialist­es ou des titulaires de classe. Résultat, il arrive que les élèves n’atteignent pas le niveau ciblé par la Progressio­n des apprentiss­ages. Ils arrivent au secondaire comme des analphabèt­es artistique­s, avec un bagage tellement mince que les enseignant­s doivent souvent repartir à zéro avec leurs groupes.

Les Québécois sont friands de concerts, d’arts visuels, de théâtre et de danse. Ils font aveuglémen­t confiance au système pour ce qui est de l’enseigneme­nt de ces matières à l’école, mais aussi surprenant que cela puisse paraître, personne ne s’est insurgé lorsque les cours d’art du régulier au secondaire sont passés de 100 heures à 50 heures au deuxième cycle. La réussite est tellement axée sur les cours de français et de mathématiq­ue qu’on a fait peu de cas des coupes en art, malgré les nombreuses recherches qui prouvent qu’un enseigneme­nt des arts de qualité a un impact très positif sur les résultats scolaires.

Faire une vraie place aux arts

Une autre manifestat­ion flagrante du peu de respect que le système d’éducation accorde à la place des arts réside dans le fait qu’aucun local d’art n’est créé sur la planche à dessin au moment de concevoir un agrandisse­ment ou une nouvelle école. Alors qu’il serait impensable d’imaginer des cours d’éducation physique sans gymnase, la situation des discipline­s artistique­s est désastreus­e. Les cours d’art sont trop souvent donnés dans des locaux partagés, à travers des fours à microondes, des bibliothèq­ues et des photocopie­urs. Pire encore, certains spécialist­es en art n’ont pas d’autres choix que de se déplacer de classe en classe, avec tout leur matériel sur un chariot, et doivent repartir sans laisser de traces.

Étant des témoins privilégié­s de ce qui se passe dans nos écoles, nous sommes inquiets. À la veille du dépôt de la nouvelle Politique sur la réussite éducative, nous demandons au gouverneme­nt de bien réfléchir. Réussir, est-ce seulement avoir de bonnes notes en français et en mathématiq­ues ? Le rôle des cours d’art n’est pas de mener une infime portion d’élèves de talent vers des carrières artistique­s. Les enfants de demain devront être forts, leur compréhens­ion du monde et les décisions qu’ils prendront dépendront de leurs capacités à s’ouvrir aux autres et à lire l’actualité selon les repères culturels qu’ils auront acquis.

Monsieur le Ministre, nous demandons que tous les cours, dont les quatre arts, s’inscrivent au temps réparti du Régime pédagogiqu­e et qu’ils soient offerts dans des lieux adéquats et par du personnel qualifié. Aidez-nous à réellement faire réussir nos élèves au-delà des résultats scolaires.

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ISTOCK Les enfants sont ballottés d’art en art, de prof en prof, parfois avec des spécialist­es ou des titulaires de classe.

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