Être une femme, une maladie préexistante ?
Le 4 mai dernier, un projet de loi a été adopté, de justesse, par les républicains de la Chambre des représentants, un projet de loi visant à réformer Obamacare. Certes, le projet de loi doit maintenant être adopté par le Sénat. Néanmoins, les modifications apportées à l’Affordable Care Act ont de quoi faire trembler les femmes. Si Barack Obama était parvenu, dans un régime de santé malgré tout inadéquat, à faire adopter l’interdiction pour des assureurs de refuser d’assurer des gens pour cause de maladie préexistante, Trumpcare non seulement refuse de subventionner le Planned Parenthood (dont on sait combien il est important non seulement pour la santé des femmes, mais pour celle de la communauté LGBTQI +) mais donne aux États la liberté de décider si un assureur peut ou non discriminer en fonction des dossiers médicaux et de maladies préexistantes. Et parmi cellesci : avoir subi une agression sexuelle, de la violence conjugale, une césarienne, une dépression post-partum… Comme l’écrit Christina Cauterucci dans Slate : sous Trump, être une femme (cis ou trans, hétéro ou queer) est une maladie préexistante qui coûte trop cher aux compagnies d’assurances.
Quelques jours avant le vote des républicains en faveur de Trumpcare commençait la diffusion de la télésérie The Handmaid’s Tale, adaptation pour le petit écran du roman de Margaret Atwood (La servante écarlate) paru en 1985. Si la parution du roman a eu lieu en plein backlash contre les femmes et le féminisme, la télésérie est diffusée à la date qui marque les 100 premiers jours de Trump à la tête des ÉtatsUnis, et en plein coeur de ce que d’aucunes décrivent comme une quatrième vague du féminisme: la résurgence sur la place publique de l’action, de la pensée et de la création féministes. Un mouvement féministe déployé under his eye, pour reprendre les mots dont se servent les personnages de The Handmaid’s Tale en guise de salutation.
Qu’est-ce qu’une vraie femme ?
Under his eye, c’est-à-dire sous le regard de Dieu. Mais le regard de Dieu, ici, s’est étendu à tous les hommes, puis à tous ceux et celles qui représentent l’ordre. Les femmes — celles qui sont nées avec des organes génitaux identifiés comme féminins — n’existent que dans et pour son regard à lui, ce Dieu qui est partout tout le temps, incarné par les commandeurs, policiers, médecins, chauffeurs, gardes de sécurité innombrables armés jusqu’aux dents. Autant d’hommes qui portent l’uniforme d’une autorité sombre et cagoulée, à l’image des véhicules noirs banalisés qui servent à l’enlèvement des dissidents. Les femmes, elles, sont reléguées à une de ces quatre catégories: les épouses des commandeurs, leurs servantes, leurs mères porteuses et les «tantes» chargées de former et de surveiller ces dernières.
Dans un monde où la stérilité prédomine, les femmes susceptibles de pouvoir porter et mettre au monde un enfant en santé sont les seules à être considérées comme de vraies femmes. Vêtues de rouge, elles forment une caste utérine au service des femmes en vert, épouses stériles des hauts dirigeants d’un gouvernement ultrachrétien et meurtrier. Blessed be the fruit, dit-on aussi pour saluer. Ce à quoi on répond : May the Lord open. Que Dieu leur ouvre les jambes. Que Dieu, via les commandeurs, les ensemence. Dans l’univers de Gilead inventé par Atwood, les femmes n’ont plus de voix. Elles ne sont que fonction. Elles sont réduites à leur nature, elles ne sont bonnes qu’à servir et à être violées.
Signalant le retour à un mode de fonctionnement archaïque, la force de la télésérie réside dans le dispositif du flash-back qui montre de quelle façon les choses ont basculé. Rien ne change instantanément, dit l’héroïne. Les choses arrivent progressivement, et ça commence, dans ce cas-ci, avec la place des femmes. Fermer leurs comptes bancaires. Les mettre à pied. Leur interdire le monde extérieur. On entend les personnages s’insurger. Ce n’est pas possible, ils n’ont pas le droit! Des groupes de résistance sont formés, une manifestation a lieu, et alors qu’on crie des slogans, le corps policier d’abord immobile se met tout à coup à tirer. Des corps tombent. Le sang gicle. Mais les arbres sont verts, les jardins sont en fleurs, et il continue à faire soleil. Voilà ce que la télésérie nous rappelle : les choses changent en pleine lumière. Comment on élimine ouvertement les femmes en refusant leur présence au sein des institutions. Comment on fait mine d’oublier de les représenter. C’est ainsi que ça commence et que sans cesse ça continue.
La non-mixité masculine, l’absence de parité ne sont que la version light d’une absence qu’on peut facilement imaginer comme programmée. L’exclusion (entre autres) de celles qui vivent en tant que femmes, dans cette société, correspond à faire de l’existence de certains humains une maladie préexistante. C’est leur vie elle-même, leur anatomie et ce qu’elles sont susceptibles de subir suivant les rapports de pouvoir existants dans notre société qui en font des êtres dont on ne veut pas assurer la santé. The Handmaid’s Tale nous propose de lire notre monde actuel comme un monde où l’avenir est déjà semé. Un avenir duquel personne ne sortira gagnant. Nolite te bastardes carborundorum, peut-on entendre dans la série, soit Don’t let the bastards grind you down, ou Ne laisse pas ces salauds t’écraser.