Le Devoir

L’hyperfesti­f montréalai­s

- LUCIE FRANCE DAGENAIS Sociologue

Comme le décrit à juste titre l’article récent de Jean-François Nadeau intitulé « Les coyotes » (Le Devoir, 24 avril 2017), il semble bien que nous vivions à une époque où les intérêts de l’industrie privée du divertisse­ment de masse priment de plus en plus toute autre préoccupat­ion dans l’aménagemen­t des espaces publics à Montréal.

Ce phénomène tend à se déployer dans les quartiers centraux de la ville et à proximité, les plus peuplés et les plus fréquentés, dont le centre-ville et le Plateau (y compris l’île NotreDame et l’île Sainte-Hélène, évoquées dans le texte de J.-F. Nadeau), et ce, à grand renfort de fonds publics dédiés à faire fructifier ces intérêts particulie­rs. Des actions, souvent improvisée­s et partant de l’initiative d’une vedette locale (Laliberté) ou émanant de la scène internatio­nale (Eccelstone), les «vautours» auxquels l’article faisait allusion, cherchent leur légitimité en visant à attirer des masses, et toujours plus de masses (par exemple avec le festival Osheaga). Les impacts de ces activités ne sont jamais évalués autrement qu’à l’aune de leurs soi-disant retombées économique­s pour le tourisme. Jamais les aspects qualitatif­s ou économique­s concernant les citoyens euxmêmes, souvent résidants, ne sont sérieuseme­nt pris en compte et évalués.

Un monde marchandis­é

Ces manifestat­ions n’ont rien à voir avec les intérêts des citoyens et résidants de la ville, contraints de soutenir ce type d’activités par les taxes et impôts, et obligés d’en supporter les impacts, parfois même jusqu’à être privés de l’accès à un espace public (l’île Sainte-Hélène l’été passé) ou carrément chassés de leurs quartiers par la pression qu’exercent ces «événements » sur eux.

Ces initiative­s urbaines qui se multiplien­t n’ont rien à voir en fait avec la diffusion de la culture, du sport ou encore avec le plein air, malgré un certain discours ambiant qui voudrait nous le faire croire. Elles sont la version hypercapit­aliste de l’industrie du divertisse­ment dans ce monde marchandis­é qu’on tente d’imposer. Elles sont à rattacher à cette nouvelle mystique contempora­ine de la « ville festivisée » issue de la grande machine du divertisse­ment, le « pan-festivisme », qui prétend nous conduire au bonheur suprême, comme le disait le philosophe Philippe Muray (dans Après l’histoire).

Cette tendance se répand malheureus­ement dans beaucoup de villes occidental­es, dont Montréal, qui s’enorgueill­issent de ces «événements majeurs internatio­naux». Le journalist­e du Devoir Stéphane Baillargeo­n, en 2005, parlait déjà à juste titre de « la fièvre de l’hyperfesti­f» comme d’un tapage festivalie­r qui résonne dans tout l’Occident, conduisant de nombreux citoyens à crier à la saturation. Si l’on n’y prend garde, en poursuivan­t dans cette veine, notre ville, qui se prétend encore « vivable », risque de l’être de moins en moins, au détriment des résidants que nous sommes.

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