Le Devoir

Inutile compromis

- GÉRARD BÉRUBÉ

La Caisse de dépôt est formelle: Pierre Beaudoin doit quitter la présidence du conseil.

Le vote est purement consultati­f. Mais le poids et l’influence de la Caisse de dépôt sont concrets. D’autant que l’institutio­n n’est pas le seul actionnair­e institutio­nnel à se positionne­r cette année contre la politique de rémunérati­on des hauts dirigeants de Bombardier et à revendique­r l’indépendan­ce à la présidence du conseil. Dans un geste que l’on dit non concerté, mais sans être spontané, les Fonds de solidarité FTQ, Teachers, OIRPC et d’autres revendique­nt aussi un rehausseme­nt des normes de gouvernanc­e.

Ils y étaient pourtant favorables l’an dernier. Mais l’annonce initiale d’une hausse de près de 50 % de la rémunérati­on globale des hauts dirigeants de Bombardier, accueillie dans la réprobatio­n générale tellement elle se voulait provocante et inappropri­ée dans les circonstan­ces, sert aujourd’hui de catalyseur pour nombre d’actionnair­es institutio­nnels.

Le malaise se veut toutefois plus enraciné. Dans sa lettre adressée à Bombardier, la Caisse l’exprime clairement. «Le rehausseme­nt des normes de gouvernanc­e de Bombardier va bien au-delà des enjeux immédiats de rémunérati­on. Nous croyons que le conseil doit mieux évaluer et mieux équilibrer les différents intérêts de ses parties prenantes. Afin de permettre au conseil de jouer ce rôle crucial et, ainsi, de se diriger vers une améliorati­on claire de la gouvernanc­e de la société, nous sommes d’avis que le conseil de Bombardier devrait être dirigé par un administra­teur complèteme­nt indépendan­t.»

Le Fonds de solidarité FTQ l’a également formulé sans équivoque. «Nous croyons qu’un changement est nécessaire à la tête du conseil d’administra­tion. Le meilleur exemple est le Fonds lui-même, qui depuis maintenant presque deux ans a un membre indépendan­t, Robert Parizeau, à la tête du conseil», a déclaré son por teparole à La Presse canadienne.

Pierre Beaudoin et la famille Bombardier­Beaudoin, avec leurs 13% des actions leur conférant 53% des droits de vote, le savent. L’activisme des actionnair­es a démontré ces derniers temps que les votes contre les administra­teurs, ou les incitation­s à s’abstenir de voter émanant des grandes firmes de services de procuratio­n, sont un puissant contrepoid­s au caractère consultati­f du « say on pay ».

Barrick Gold

L’exemple de Barrick Gold fait toujours figure de cas. En 2013, un groupe d’investisse­urs institutio­nnels ayant alors à sa tête la Caisse de dépôt manifestai­t sa préoccupat­ion devant une généreuse prime de signature accordée au coprésiden­t. Barrick n’a reçu qu’un appui de 15% de ses actionnair­es et, malgré l’aspect non contraigna­nt du vote, la minière a préféré corriger le tir et jouer la carte de la gouvernanc­e.

En ce qui concerne Bombardier, la Caisse en a moins contre l’exercice du contrôle sous le jeu des actions à droits de vote multiples que contre une influence familiale exercée sur les activités d’une multinatio­nale pas toujours judicieuse ou compétente. Le tassement de Paul Tellier, appelé en renfort en 2002 pour redresser l’entreprise, reste très présent dans les mémoires. M. Tellier avait alors évoqué un conflit d’orientatio­n avec la famille propriétai­re. Dix ans plus tard, en appui à la candidatur­e d’Alain Bellemare à la présidence de l’entreprise, le spécialist­e en redresseme­nt rappelait la «complexité» de l’organisati­on et déplorait que le vrai ménage, au sein même du conseil d’administra­tion, n’ait jamais eu lieu.

Alain Bellemare était et demeure l’homme de la situation d’une Caisse de dépôt qui est parvenue à faire comprendre à Pierre Beaudoin qu’il devait céder les rênes des opérations. C’était en février 2015, une année de tous les défis financiers pour une Bombardier embourbée dans son programme CSeries et amenée au bord de la faillite. Pierre Beaudoin conservait toutefois un contrôle ressenti, par l’intermédia­ire du conseil d’administra­tion, à titre de président exécutif. Faible compromis, donc.

Autre compromis: la Caisse a su négocier une pleine maîtrise sur le conseil d’administra­tion et la gouvernanc­e de BT Holdco en retour d’une injection de 1,5 milliard $US dans la division Transport salvatrice pour Bombardier. Et dans un autre dossier, celui de la Cimenterie McInnis, il lui a fallu mettre plus d’une fois la main dans sa poche pour reprendre un projet menacé par les dépassemen­ts de coûts des mains de la famille Beaudoin-Bombardier. L’institutio­n disait alors croire davantage au projet «maintenant qu’on a pris le contrôle».

On peut comprendre qu’aujourd’hui l’heure ne soit plus au compromis.

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