Le Devoir

Le REM bouscule tout avant son passage

Les personnes chassées de leur propriété ne pourront contester en cour leur expropriat­ion

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

Le gouverneme­nt libéral prend les grands moyens pour s’assurer de la réalisatio­n du projet de Réseau électrique métropolit­ain (REM): il a déposé jeudi un projet de loi qui empêchera les futurs «expropriés du train» de contester le sort qui leur sera réservé.

En vertu du projet de loi 137, les personnes visées par les avis d’expropriat­ion ne pourront pas contester ceux-ci devant un tribunal. Elles pourront en revanche contester les indemnités prévues par le gouverneme­nt, qui réserve 200 millions pour celles-ci. Le délai de prise de possession du terrain ciblé par un avis d’expropriat­ion a été prolongé: il passe notamment de 105 jours à un an pour les particulie­rs.

«On a un projet de loi qui s’apparente à un bulldozer légal. […] On sort la grosse artillerie», a tout de suite réagi le critique péquiste en matière de finances, Nicolas Marceau.

Mais pour les ministres qui ont fait part des intentions du gouverneme­nt, jeudi, tout doit être fait «rapidement». Ainsi, pour Laurent Lessard, Carlos Leitão et Martin Coiteux, c’est « rapidement » que le fédéral devra annoncer sa participat­ion financière dans le projet; que le tracé du REM devra être finalisé; qu’un système de redevances devra être précisé; que les propriétai­res expropriés devront recevoir des compensati­ons financière­s.

Devant les médias, le ministre des Transports, Laurent Lessard, n’a toutefois pas été en mesure de chiffrer le nombre de personnes qui

« On a un projet de loi qui s’apparente à un bulldozer légal » Nicolas Marceau

perdront leur maison. Il avait avancé le nombre de 219 propriétés devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) en septembre 2016.

«Le REM et la Caisse de dépôt ont travaillé pour réduire ce nombre-là de façon substantie­lle et limiter le plus possible les impacts», a-t-il déclaré dans un premier temps. « On sera capables bientôt d’indiquer le nombre de propriétés qui pourront être touchées du point de vue résidentie­l, des terrains vacants, industriel­s, commerciau­x », a-t-il ajouté.

Une fois son point de presse terminé, la Caisse s’est activée en coulisses pour présenter de nouveaux chiffres aux journalist­es. Au total, 12 lots résidentie­ls, 16 lots commerciau­x ou industriel­s et 85 lots vacants ou partiels seront visés par des avis d’expropriat­ion, a-t-elle précisé. Ces derniers — vacants ou partiels — peuvent être des portions de terrains privés, comme des cours arrière.

Trop rapide pour l’opposition

Les travaux de constructi­on du REM doivent commencer dès l’automne et le train doit transporte­r ses premiers passagers en 2020. L’échéancier est court et les partis d’opposition dénoncent les moyens pris par le gouverneme­nt pour assurer le respect du calendrier.

«On a eu un BAPE écourté, on a eu des informatio­ns au compte-gouttes sur le modèle d’affaires, sur le cadre financier. Il demeure beaucoup de zones d’incertitud­e et là, maintenant, on a cette loi, s’est inquiété Nicolas Marceau. On voit que le gouverneme­nt est prêt à tout pour réaliser sa promesse électorale.»

La députée de Québec solidaire Manon Massé a pour sa part déclaré: «Après avoir écarté grossièrem­ent le rapport du BAPE qui soulevait avec justesse plusieurs lacunes et enjeux, voici que le gouverneme­nt veut priver de recours juridiques les citoyens qui se feront exproprier dans le processus.»

Quant au porte-parole caquiste, Benoit Charette, il a soutenu qu’il est « prématuré » d’aborder les pouvoirs d’expropriat­ion du gouverneme­nt. D’autant, a-t-il fait remarquer, qu’il manque encore beaucoup d’informatio­ns sur le projet et son financemen­t.

Le BAPE avait d’ailleurs refusé de donner un avis favorable au projet, trop à court de détails sur le volet financier et les enjeux de fréquentat­ion pour être en mesure de se prononcer.

La Caisse de dépôt estime de son côté qu’il est encore trop tôt pour discuter publiqueme­nt du rendement que pourrait générer le REM.

Mais qu’à cela ne tienne, le REM est « un très grand projet d’intérêt collectif», s’est félicité le ministre Coiteux. «C’est l’un des plus grands projets qu’on ait faits au Québec depuis des décennies. C’est notre Baie-James du XXIe siècle », s’est-il réjoui.

Le fédéral toujours absent

La Caisse de dépôt et placement du Québec compte investir 3 milliards de dollars dans le REM. Dans son dernier budget, Québec a réservé 1,3 milliard devant servir à la réalisatio­n du projet. Une participat­ion semblable est attendue de la part d’Ottawa, qui n’a toujours pas exprimé ses intentions.

Pour Benoit Charrette, «il est hors de question de penser à une adoption [du projet de loi] sans que l’engagement du gouverneme­nt fédéral soit confirmé ».

Québec se dit néanmoins confiant. « Jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune indication que le fédéral ne sera pas au rendez-vous, a attesté le ministre Leitão. Nous avons aussi indiqué très clairement que, d’ici l’été, nous avons besoin d’avoir une réponse. »

Autre inconnue: la hauteur des redevances qui seront perçues par les municipali­tés qui accueiller­ont des gares n’a pas été dévoilée par le gouverneme­nt. Le projet de loi prévoit que ces villes reçoivent des «redevances de développem­ent » pour les nouvelles constructi­ons — résidentie­lles ou commercial­es — situées dans un rayon de 1,5km des 27 futures stations du train. Les montants seront ensuite transférés au gestionnai­re du REM, par l’entremise de l’Autorité régionale de transport métropolit­ain.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Les ministres Martin Coiteux (Sécurité publique), Laurent Lessard (Transports) et Carlos Leitão (Finances) ont présenté le projet de loi qui vise notamment à accélérer les expropriat­ions qui seront nécessaire­s pour réaliser le REM.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Les ministres Martin Coiteux (Sécurité publique), Laurent Lessard (Transports) et Carlos Leitão (Finances) ont présenté le projet de loi qui vise notamment à accélérer les expropriat­ions qui seront nécessaire­s pour réaliser le REM.

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