Le Devoir

Pierre Beaudoin se cramponne au siège de président

Le petit-fils de J.-A. Bombardier ne parvient pas à faire taire la Caisse et le Fonds FTQ en se délestant de sa fonction exécutive

- FRANÇOIS DESJARDINS

Pierre Beaudoin a peut-être renoncé à une partie de son titre au sein de Bombardier, une décision dévoilée juste avant l’assemblée annuelle très courue, mais ce changement de rôle n’est pas suffisant, estiment de grands investisse­urs institutio­nnels, selon lesquels le président du conseil devrait forcément être un administra­teur indépendan­t.

Trois jours après que la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité FTQ eurent causé la surprise en refusant d’appuyer la réélection de M. Beaudoin comme président exécutif du conseil, ce dernier a annoncé jeudi matin qu’il renonçait à son implicatio­n quotidienn­e à la fin du mois de juin pour devenir «président non exécutif» du conseil.

Pour justifier ce changement de titre, la haute direction de Bombardier a affirmé que le transfert des dossiers entre Pierre Beaudoin et Alain Bellemare, président et chef de la direction depuis 2015, est maintenant terminé. M. Beaudoin est le petit-fils de Joseph-Armand Bombardier et le fils de Laurent Beaudoin, qui occupe lui aussi un siège au conseil comme d’autres membres de la famille.

«Le geste posé enlève l’ambiguïté à la tête de l’entreprise. En ce sens, c’est un pas dans la bonne direction, a indiqué le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon. Cela dit, sur le plan des principes, nous continuons de croire que Bombardier a besoin d’un président indépendan­t du conseil. En ce qui concerne l’équipe de direction, nous constatons qu’elle poursuit l’exécution de son plan, étape par étape, comme le démontrent les résultats du trimestre.»

Des manifestan­ts attendaien­t les actionnair­es, mais l’assemblée générale a été moins houleuse que prévu

Anormal, dit Laurent Beaudoin

Présent à l’assemblée, Laurent Beaudoin, qui a pris les commandes de l’entreprise au milieu des années 1960 pour les remettre à son fils Pierre en juin 2008, a exprimé sa déception devant les propos tenus par la Caisse plus tôt cette semaine. Les réserves de celle-ci avaient été couchées sur papier et transmises à Bombardier dans une lettre de deux pages que l’établissem­ent a même affiché sur son propre site Internet. Soulignant un besoin d’améliorer la gouvernanc­e, la Caisse tenait aussi à s’opposer à la politique de rémunérati­on de Bombardier, laquelle a soulevé l’indignatio­n du public en raison de l’appui financier du gouverneme­nt du Québec. La compagnie a apporté des ajustement­s, mais ceux-ci n’ont pas effacé toutes les critiques. « Il me semble qu’ils auraient pu nous parler », a dit Laurent Beaudoin en marge de l’assemblée, où des journalist­es lui ont demandé de faire un commentair­e. «Ce n’est pas normal qu’au Québec on en profite pour faire une sortie comme cela.»

Un autre actionnair­e, le Fonds de solidarité FTQ, a réitéré la position exprimée en début de semaine. «Le conseil d’administra­tion de Bombardier doit être présidé par un membre indépendan­t de son conseil, a indiqué le Fonds dans une déclaratio­n. Le Fonds invite donc le conseil d’administra­tion de Bombardier à se pencher sur cette question. Puisque le Fonds favorise le dialogue avec ses entreprise­s partenaire­s, il continuera de faire valoir ce point auprès de Bombardier. »

La manière de rémunérer les dirigeants, qui repose sur un salaire de base et des incitatifs à moyen et long terme, a été approuvée à 93,5% lors du vote consultati­f. Quant à Pierre Beaudoin, il a été réélu au conseil d’administra­tion avec 92,3% des votes et un taux d’abstention de 7,7%. Tous ces pourcentag­es comprennen­t le poids écrasant des actions à droits de vote multiples détenues par la famille Beaudoin-Bombardier.

«Il s’agit d’un demi-départ», a dit le directeur général de l’Institut sur la gouvernanc­e des organisati­ons publiques et privées (IGOPP), Michel Nadeau, au sujet de Pierre Beaudoin. « C’est un jour historique pour l’entreprise, car pour la première fois depuis 75 ans, il n’y aura plus de Bombardier-Beaudoin qui va travailler à temps plein chez Bombardier. Est-ce qu’il aurait dû aussi quitter la présidence du conseil? Personnell­ement, je l’aurais préféré. Mais pour la famille, c’était difficile. C’est son grand-père qui l’a fondée [l’entreprise], c’est son père qui l’a développée. »

Bouc émissaire

«Le départ annoncé de Pierre Beaudoin comme président exécutif ne réglera pas le problème de fond des rémunérati­ons indécentes de tous les dirigeants d’entreprise au Québec, ni de ceux des présidents de conseil d’administra­tion», a affirmé David Chartrand, coordonnat­eur québécois de l’Associatio­n internatio­nale des machiniste­s et des travailleu­rs de l’aérospatia­le. « Cependant, sans vouloir défendre Pierre Beaudoin, je trouve que, ces derniers jours, il sert de bouc émissaire. Les dirigeants de Bombardier ne sont pas les seuls à abuser sur le plan des rémunérati­ons. »

Bombardier avait pris des mesures de sécurité exceptionn­elles avant l’assemblée de ses actionnair­es, dont le déploiemen­t de nombreux gardiens de sécurité et l’installati­on de détecteurs de métal, mais le rendez-vous annuel n’a pas donné lieu à la tempête que certains auraient pu craindre.

Organisée à l’usine de finition de Dorval, où

des manifestan­ts s’étaient réunis pour exprimer leur mécontente­ment à l’égard de la rémunérati­on de la haute direction, l’assemblée a permis aux dirigeants d’entendre de vive voix la critique de certains actionnair­es alors que d’autres ont plutôt félicité l’entreprise pour le travail de développem­ent des dernières années, notamment au chapitre de la famille d’avions CSeries. Le président et chef de la direction, Alain Bellemare, a affirmé aux actionnair­es que l’entreprise est «en bien meilleure position qu’il y a un an ».

Un actionnair­e a recommandé à l’entreprise de ne pas augmenter les salaires de base l’an prochain afin de compenser le report à 2020 de certains paiements initialeme­nt dus en 2019. Ces incitatifs reposent sur l’atteinte d’objectifs précis. «Dites-vous une chose, c’est que l’an prochain, c’est certain que les médias vont vous surveiller », a-t-il dit. «Je pense qu’on a démontré qu’on porte attention aux commentair­es des gens, a affirmé M. Bellemare dans une conférence de presse.

Des gestes concrets ont été posés. On a pris ça au sérieux. »

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RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE Le président et directeur général de Bombardier, Alain Bellemare, et le président du conseil d’administra­tion de l’entreprise, Pierre Beaudoin

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