Le Devoir

Le drame invisible de l’itinérance en milieu rural.

L’ignorance du phénomène expliquera­it le manque de ressources

- PAULINE GRAVEL

L’ignorance du phénomène expliquera­it le manque de ressources.

On croyait que l’itinérance était un phénomène exclusivem­ent urbain. Une conférence présentée au congrès de l’Acfas nous montre qu’elle existe aussi en milieu rural et qu’elle y est même en croissance, bien qu’elle y soit presque invisible.

Sue-Ann MacDonald, professeur­e à l’École de travail social de l’Université de Montréal, a dressé un portrait de la centaine d’itinérants vivant sur le territoire à la fois rural et semi-rural de la municipali­té régionale de comté (MRC) de Marguerite-D’Youville en Montérégie-Est, qui compte 76 000 habitants.

Son portrait s’inspire de données fournies par la police, les municipali­tés et les acteurs communauta­ires, les données recueillie­s lors de sondages effectués auprès de 24 organismes communauta­ires ainsi que lors d’entrevues réalisées avec différents acteurs du milieu et trois personnes en situation d’itinérance.

«Ces personnes habitaient déjà dans la région quand elles sont devenues itinérante­s. Elles sont très attachées à leur territoire et ne veulent pas le quitter», a-t-elle d’abord souligné. Ces personnes se sont néanmoins retrouvées à la rue pour des raisons assez semblables à celles des itinérants de la ville, telles que des difficulté­s familiales, des séparation­s, des problèmes de santé mentale ou de toxicomani­e, la perte de leur emploi ou de leur logement.

Les itinérants de ce territoire qui est dominé par des maisons unifamilia­les doivent faire face à un manque criant de logements sociaux. Mme MacDonald a même eu l’impression que ces municipali­tés n’avaient pas vraiment l’intention de créer de nouveaux logements sociaux, car ceux-ci nuiraient à l’image idyllique de la vie calme à la campagne de leur territoire. Ces itinérants dorment donc chez des connaissan­ces, dans des automobile­s, des roulottes, des fermes, des marinas fermées durant l’hiver ou des parcs.

Parfois, grâce à des arrangemen­ts douteux, ils louent une chambre dans une maison sans avoir accès à une cuisine, ou même à une clé.

«Dans ces zones rurales et semi-rurales, il y a peu de ressources consacrées aux personnes en situation d’itinérance parce qu’on ne reconnaît pas l’existence du phénomène», affirme Mme MacDonald.

De plus, comme il y a très peu de transport collectif permettant d’accéder aux rares ressources offertes et aux centres commerciau­x, où ils peuvent trouver chaleur et repos, les itinérants doivent parcourir le plus souvent à pied, parfois à vélo, plusieurs kilomètres par jour.

Dans ces petites communauté­s où tout le monde se connaît, les itinérants redoutent beaucoup qu’on apprenne qu’ils sont sans domicile fixe. «Tous les itinérants éprouvent de la honte, mais pour ceux qui vivent là où la problémati­que n’est pas reconnue, ce sentiment de honte est encore plus grand. Et pour cette raison, ils n’osent pas réclamer de services, ils les refusent même, de peur d’être étiquetés comme itinérants.»

Ces personnes trouvent donc à manger en fouillant dans les poubelles, en cueillant des fruits dans les jardins publics, voire grâce à des dons offerts par des commerçant­s.

«Le simple fait de ramasser les canettes dans les poubelles suscite beaucoup de tension dans la communauté parce que cela nuit à l’image d’une municipali­té propre, tranquille et sécuritair­e. En ville, on ne se formaliser­a pas que des gens viennent fouiller dans nos poubelles, mais, dans ces régions où le sentiment de propriété privée est très fort, une telle intrusion dérange beaucoup plus et suscite un sentiment d’insécurité», explique la chercheuse.

Mme MacDonald a également observé que plusieurs itinérants se déplacent vers les refuges urbains de Longueuil ou de Montréal pendant quelques jours pour se reposer. «Mais ils reviennent sur le territoire, car ils ne se sentent pas en sécurité à Montréal.»

Pour remédier au problème, « il faudra sensibilis­er la population de ces régions au phénomène de l’itinérance, car il y est moins toléré qu’en ville, probableme­nt en raison d’une méconnaiss­ance ».

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JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE Dans les petites communauté­s où tout le monde se connaît, les itinérants redoutent beaucoup qu’on apprenne qu’ils sont sans domicile fixe.
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