Le Devoir

La formation obligatoir­e des juges passe une autre étape

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Les mises en garde de la magistratu­re auront été vaines. Le Comité parlementa­ire sur la condition féminine, à majorité libérale, a donné son imprimatur jeudi au projet de loi de Rona Ambrose obligeant les futurs juges à suivre une formation sur les agressions sexuelles. Reste maintenant à savoir si le gouverneme­nt de Justin Trudeau suivra la recommanda­tion lors du vote définitif à la Chambre des communes.

Le projet de loi C-337 modifie la Loi sur les juges afin que seules les personnes ayant suivi un cours en matière d’agression sexuelle soient admissible­s à la magistratu­re. Il s’agit d’éviter la nomination de personnage­s comme Robin Camp qui avait désigné tout au long d’un procès pour viol la victime comme étant « l’accusée » et qui lui avait demandé pourquoi elle n’avait pas « serré les jambes » pour empêcher l’agression. M. Camp a depuis démissionn­é.

Le Conseil canadien de la magistratu­re fédérale et le sous-commissair­e à la magistratu­re fédérale avaient rappelé qu’en moyenne, 500 personnes postulent chaque année pour devenir juge, mais que seulement 10% d’entre elles seront nommées.

Ils faisaient valoir que la formation serait diluée si prodiguée à un si grand nombre de personnes. Ils proposaien­t plutôt de faire signer aux candidats un engagement à suivre une formation une fois nommés.

«Bien franchemen­t, plus il y aura de gens formés, mieux se portera le système Pam Damoff, vice-présidente libérale du Comité parlementa­ire sur la condition féminine

Pas de formation superflue

Le comité parlementa­ire qui a décortiqué article par article le projet de loi jeudi matin n’a pas retenu cette suggestion. L’obligation demeure. La vice-présidente libérale du comité, Pam Damoff, fait valoir qu’il ne peut jamais y avoir trop de formation en la matière dans le système judiciaire. « Nous voulions honorer l’intention de la députée qui a déposé le projet de loi, soit de s’assurer que tout le monde est formé. Et, bien franchemen­t, plus il y aura de gens formés, mieux se portera le système.»

Dans sa version originale, le C-337 obligeait aussi les juges à rendre des décisions écrites dans les causes d’agression sexuelle. Cette obligation a été retirée.

Les libéraux ont fait valoir que cela ralentirai­t tellement les procédures que des causes d’agression sexuelle pourraient être abandonnée­s au nom de l’arrêt Jordan limitant les délais judiciaire­s.

Le projet de loi stipule désormais que les motifs du juge devront être versés au dossier, ce qui signifie que l’enregistre­ment de la lecture du verdict ou une transcript­ion de cette lecture devra être accessible. Le C-337 amendé mentionne que, si la cause n’est pas enregistré­e, alors des motifs écrits sont nécessaire­s.

Les fonctionna­ires fédéraux ont expliqué aux députés que cette latitude était la seule façon de s’assurer que la loi ne sera pas invalidée par les tribunaux: l’administra­tion de la justice étant une compétence provincial­e, toute tentative de dicter une façon de faire serait jugée inconstitu­tionnelle.

Les fonctionna­ires ont soutenu qu’une transcript­ion était très coûteuse (0,07 $ par mot). L’exiger imposerait un important fardeau financier aux provinces, qu’elles ne manqueraie­nt pas de contester.

L’opposition satisfaite

La députée conservatr­ice Karen Vecchio était tout sourire après la rencontre. « Nous sommes très à l’aise avec le changement parce que cela assure quand même que [les motifs] seront publics.»

La néodémocra­te Sheila Malcolmson estime que les libéraux n’auront d’autre choix que d’appuyer le projet de loi lors du vote définitif.

«On a vu d’autres exemples de députés libéraux appuyer en comité un projet de loi privé, qui n’a par la suite pas reçu l’aval du cabinet. Celui sur la discrimina­tion génétique est l’un de ces cas extrêmes», rappelle-t-elle.

Dans ce dernier cas, malgré le refus du cabinet, les libéraux d’arrière-ban ont voté avec l’opposition et fait adopter le projet de loi. «Je serais très surprise si le gouverneme­nt s’opposait à ce projet de loi.»

Newspapers in French

Newspapers from Canada