Le Devoir

À pas de tortue

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Les libéraux fédéraux ont été élus avec un programme parsemé de projets de réformes ambitieuse­s. Plus de 18 mois après les élections de 2015, force est de constater que le mieux est souvent devenu l’ennemi du bien au sein de ce gouverneme­nt. Trop de problèmes tardent à trouver réponse parce qu’on refuse de procéder par étapes.

Beaucoup de choses prennent du temps avec le gouverneme­nt Trudeau, qui consulte jusqu’à plus soif. Prendre le pouls des citoyens et des experts est une bonne chose, mais, quand on n’en voit plus la fin, cela devient un défaut. Les exemples ne manquent pas. On attend toujours les modificati­ons à la Loi antiterror­iste, le fameux C-51, parce que le gouverneme­nt tient à terminer d’abord sa vaste consultati­on sur la sécurité nationale. Les réformes conservatr­ices en matière de justice sont, sauf une, toujours en place. La crise des délais judiciaire­s n’est pas nouvelle, mais il aura fallu l’arrêt Jordan, l’été dernier, pour secouer tout le monde.

La lenteur de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, à nommer des juges y a contribué. Il en manque d’ailleurs toujours deux au Québec. Mais voilà, elle voulait d’abord réformer le processus de nomination. Face à l’urgence, elle aurait très bien pu continuer à nommer des magistrats selon l’ancienne formule pendant qu’elle élaborait la sienne pour les suivants.

La révision des peines minimales obligatoir­es aurait pu être entreprise par étapes. Au lieu de mettre fin rapidement à celles ayant les effets pervers les plus évidents, le gouverneme­nt a voulu tout revoir, les anciennes et les nouvelles, pour présenter un beau grand projet d’ensemble. À la fin avril, la ministre a promis à ses homologues provinciau­x un projet de loi en ce sens dès ce printemps. On l’attend toujours.

Les libéraux avaient promis de supprimer les pires aspects du processus de révocation de citoyennet­é conçu par les conservate­urs. Un projet de loi (C-6) a été présenté il y a plus d’un an. L’opposition et les experts en matière d’immigratio­n ont aussitôt déploré l’absence de mécanisme d’appel digne de ce nom. Le gouverneme­nt a d’abord fait la sourde oreille. C’est finalement le Sénat qui a apporté les amendement­s nécessaire­s. Le projet est retourné aux Communes la semaine dernière, mais aucune motion n’a encore été présentée pour permettre aux députés de se prononcer sur les amendement­s en question.

Là encore, c’est peut-être un juge qui forcera la main du gouverneme­nt, puisque les dispositio­ns de la loi actuelle en matière de recours ont été rendues inopérante­s mercredi par la juge Jocelyne Gagné, de la Cour fédérale. Elle a conclu que ce volet de la loi était contraire aux principes de justice fondamenta­le.

Même procrastin­ation dans le dossier du maintien en isolement des détenus, une pratique utilisée de façon excessive, selon une longue enquête du Globe and Mail. Deux groupes en contestent la constituti­onnalité devant la Cour suprême de la Colombie-Britanniqu­e. En novembre dernier, les procédures ont été suspendues jusqu’en juillet à la demande du gouverneme­nt, qui disait préparer une loi pour corriger la situation. Lundi, un juge de ce tribunal a relancé la machine, aucun projet n’ayant été annoncé ou présenté.

Quand un gouverneme­nt ne réagit qu’une fois le fusil sur la tempe, il y a lieu de s’inquiéter. Souffre-t-il d’une incapacité à trancher ? Est-il incapable de fonctionne­r à plus d’une vitesse à la fois? Attend-il que quelqu’un lui impose une solution impopulair­e pour ne pas avoir à en porter la responsabi­lité?

C’est bien, les grandes réformes, mais elles ne doivent pas devenir un frein à une action rapide face à des situations qui exigent des gestes urgents. C’est malheureus­ement ce qui se produit actuelleme­nt dans trop de dossiers.

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MANON CORNELLIER

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