Le Devoir

Pierre Bourgie ouvre sa galerie au Belgo

L’homme d’affaires n’exposera que sa collection personnell­e

- JÉRÔME DELGADO Collaborat­rice Le Devoir Collaborat­eur Le Devoir

Une de perdue… une de retrouvée. Quatre mois après la fermeture de la galerie Joyce Yahouda, le Belgo verra naître samedi un nouvel espace. L’homme d’affaires et philanthro­pe Pierre Bourgie a repris le bail de Joyce Yahouda et s’installe à son tour dans cet édifice du centre-ville qui demeure, malgré tout, une bonne niche d’art contempora­in.

Pierre Bourgie, galeriste? Le fondateur d’Arte Musica et mécène derrière la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal répond par la négative. Son espace, baptisé Catalogue, découle du même besoin de partage. Il n’y exposera que les oeuvres qu’il acquier t depuis 40 ans.

«J’ai calculé que, avec quatre exposition­s par année, ça me donne du gaz pour sept ou huit ans», dit-il, bien assis sur sa chaise et à la fois un peu gêné, avouant ne pas « chercher de publicité ».

M. Bourgie ne jouera pas les marchands — aucune oeuvre ne sera à vendre. Il ne concurrenc­era pas les centres d’artistes, leur laissant le privilège de l’expériment­ation. Et il n’a pas besoin de rentabilis­er sa nouvelle aventure. Tout sera gratuit, y compris les récitals qu’il organisera à l’occasion. «J’ai 40 chaises, je distribue 40 billets et, à [l’heure du concert], je barre les portes», annonce-t-il.

À 60 ans, Pierre Bourgie pense à sa postérité. Mais pas question de faire un legs sans voir ses oeuvres exposées ni de créer une fondation, pour laquelle il affirme ne pas avoir d’argent.

La galerie se nomme Catalogue parce que son instigateu­r songeait à faire une «belle publicatio­n» avec toutes ses oeuvres. Le départ de Joyce Yahouda lui a donné l’occasion de procéder autrement. « Pendant sept ans, je la montre, dit-il. Je documente tout, je prends des photos, j’écris les textes. Après, on fera le catalogue. Quand je ne serai plus là, il restera ça. »

Espace ouvert

La localisati­on centrale du Belgo, à un jet de pierre du Musée d’art contempora­in et de son bureau, ainsi que le loyer lui convenait bien.

«Mais l’argent n’est pas un problème », confie-t-il, lui qui loue l’équivalent de trois espaces, avec trois portes et trois fenêtres doubles. Méconnaiss­able, l’ancienne galerie Joyce Yahouda est devenue un immense loft.

«Je voulais un espace ouvert, sans le surcharger », explique l’homme, qui admet préférer cette formule somme toute plus intime que ce dont ses semblables se sont dotés, les Pierre Trahan (Arsenal, galerie Division) et autres Nick Tedeschi (galerie Parisian Laundry).

Arrivé à l’art par la bande — un cours universita­ire hors de son programme —, Pierre Bourgie n’a pas accumulé des oeuvres «avec une intention». Ce sont des coups de coeur qui le guident. Ses goûts éclectique­s traversero­nt les exposition­s, à commencer par celle qui inaugure l’espace samedi.

«Il y a des choses anciennes, des choses primitives, des choses contempora­ines, du Québec, d’ailleurs. Et il y a la musique et la littératur­e. J’ai voulu un lieu où tout ça se parlerait », dit-il.

L’exposition inaugurale, Lignes d’ombre — titre inspiré du récit maritime de Joseph Conrad —, navigue à travers l’horizontal­ité des partitions de musique et la répétition de motifs, comme le mouvement des vagues. À la sculpture d’Idris Khan en hommage à Glenn Gould et au sculpteur minimalist­e Carl Andre, à des dessins de Steve Reich et à des peintures de Borduas et d’Ulysse Comtois, notamment, se greffe un ensemble d’objets verticaux de cultures océaniques, dont des pagaies.

«Il y a quelque chose de primitif, même dans Borduas. Il est comme le premier jet du modernisme», clame Pierre Bourgie.

L’arrivée de cette galerie nouveau genre semble être bien accueillie au Belgo. Les galeristes Roger Bellemare et Christian Lambert, dont les exposition­s évoquent souvent la musique, voient d’un bon oeil ce «collection­neur qui veut faire quelque chose de plus». Il faut dire que Bourgie est un de leurs fidèles clients.

À l’Associatio­n des galeries d’art contempora­in (AGAC), qui loge au 3e étage du Belgo, on déplore encore le départ de Joyce Yahouda. Mais Christine Blais, la directrice de l’AGAC, salue le geste de Pierre Bourgie : « C’est une annonce extrêmemen­t positive, [qui] démontre qu’encore aujourd’hui le Belgo est l’un des principaux lieux culturels de Montréal.»

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Pierre Bourgie

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