Le Devoir

Deux temps, une même tessiture

Le premier brosse un portrait musical du second, entre interpréta­tion et évocation

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Fin des années 1930, Yves Montand délaisse son rôle de placier dans un music-hall et monte sur scène pour y pousser la chansonnet­te. Naissance d’une star. Plus tard, le chanteur devient acteur, décuplant une popularité déjà immense. Fin des années 1970, Lambert Wilson rêve d’une carrière hollywoodi­enne. Acteur français de premier plan, il passe à la chanson vers le début des années 1990. Au-delà d’une tessiture semblable, les deux hommes partagent un pouvoir d’enjôlement vocal indéniable, aussi l’idée du second de faire revivre le répertoire du premier paraît-elle aller de soi.

Après une tournée française triomphale, Lambert Wilson s’amènera à Montréal avec son spectacle Wilson chante Montand

du 24 octobre au 5 novembre. Cette production, c’est un vieux rêve qui se réalise, explique l’acteur et chanteur, en entretien au Devoir. « Lors d’un spectacle précédent, Démons et merveilles, dans lequel je chantais des chansons du cinéma français des années 1930 aux années 1960, j’avais interprété quelques titres issus du répertoire de Montand. J’ai constaté que j’avais une aisance vocale, que ce répertoire-là me convenait assez naturellem­ent », explique Lambert Wilson.

Le goût des mots de Montand, de la phrase dite, de la poésie, a directemen­t interpellé Wilson. «Je cherchais une idée pour faire un nouveau spectacle musical et il me fallait un personnage. Montand constituai­t un beau héros scénique. J’y voyais une occasion de raconter son histoire à travers ses chansons, mais aussi des textes écrits sur lui.»

Des choix, un legs

En cours de route, la maison Sony Classics commanda à Lambert Wilson un album consacré aux grands succès d’Yves Montand, sorti en 2015, et soulignant le 25e anniversai­re du décès de ce dernier. Le spectacle, s’il pro- pose plusieurs incontourn­ables, creuse beaucoup plus profondéme­nt dans le répertoire de Montand.

« Montand n’a pas composé une seule note, n’a pas écrit une seule ligne, mais il n’en laisse pas moins un legs musical, et ce legs, il réside dans ses choix. Il a préféré certaines chansons à d’autres, en a refusé beaucoup, dont certaines sont devenues de gros succès. Il a laissé une trace très forte d’interpréta­tion. J’ai tout écouté, mais une seule fois. Je ne voulais pas me laisser intimider par son interpréta­tion. Avec Bruno Fontaine, l’arrangeur du spectacle, qui est aussi un pianiste prodigieux, on a fait une recherche considérab­le. On a été saisi par l’ampleur du répertoire, par la quantité de chansons que Montand a enregistré­es. Je crois que je suis tombé en amour avec une image de lui sur scène, celle sans doute des années 1960, avec cette silhouette à laquelle je pourrais substituer la mienne…»

Pour autant, Lambert Wilson voulait à tout prix éviter le piège de l’imitation, procédé qui ne l’intéresse absolument pas. Finalement, l’acteur ne s’est jamais éloigné du chanteur, étudiant le «rôle» Montand en usant de ses chansons comme de notes biographiq­ues.

Une vie en musique

En tout, Bruno Fontaine et lui ont rassemblé une trentaine de chansons ainsi qu’une dizaine de textes. Sur scène, Lambert Wilson revêt certains costumes célèbres, incarnant puis évoquant, tour à tour, Yves Montand. Son parcours musical éclaire sa vie personnell­e, sa famille, ses amours, son engagement…

D’ailleurs, plusieurs phases se succèdent dans le répertoire de Montand, la maturité charriant dans son sillage une gravité absente au commenceme­nt. Du lot, Lambert Wilson préfère la période de la fin des années 1940, celle au cours de laquelle Montand enregistra Les feuilles mortes.

«C’est l’époque de sa collaborat­ion avec Jacques Prévert et Joseph Kosma. Pour moi, c’est le coeur du spectacle ; c’est ce qui me touche le plus. Il y a une épure, une poésie, tant dans les textes de Prévert que les musiques de Kosma. Je vous parle, à l’instant présent, depuis la ville de Brest, et il pleut, bien entendu, et je pense à la chanson Barbara : “Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là”… Il y a quelque chose de tellement pur, de tellement émouvant… Il n’empêche, on traverse tout, des chansons plus narratives des débuts, parfois burlesques. »

Un concert littéraire

Couronné de succès, la tournée de Wilson chante Montand se poursuit dans l’Hexagone, s’interrompa­nt, comme en ce moment, le temps d’un tournage. Attendu avec circonspec­tion, «Montand-le-monstre-sacré» oblige, la production a surpris le public et la critique, enchantés de découvrir une vraie propositio­n artistique plutôt qu’un simple tour de chant.

«On esquisse la vie de Montand, et ce faisant tout un pan de l’histoire de la France, notamment par Le temps des cerises et Le chant des partisans. On ne va pas dans le détail journalist­ique, mais les grandes charnières de son existence sont là: son passé ouvrier, son arrivée à Paris, son rêve d’Amérique, sans oublier les rencontres marquantes que furent Piaf, Signoret et Monroe, avec l’accent évidemment sur Signoret, sa grande histoire d’amour. Ses compagnonn­ages politiques… Tout ça par ses chansons ainsi que par des écrits lui ayant été consacrés, dont plusieurs de Jorge Semprún. Ça devient presque un concert littéraire. C’est ce qui a étonné les gens, qui attendaien­t plutôt, ou craignaien­t, un enchaîneme­nt de tubes. »

Et Lambert Wilson de devenir Yves Montand sans jamais s’effacer complèteme­nt. Quoique.

Poésie pure

«Quand je chante, j’ai besoin de me dire que c’est le personnage qui chante, et pas moi. Ça me libère. Si c’est moi qui chante, moi Lambert, alors je suis mal à l’aise; j’ai trop peur. Là, c’est l’acteur de théâtre qui vous parle. J’ai fait un disque de variété autrefois, sans filtre, et je me sentais totalement embarrassé. Rien à voir avec, par exemple, chanter pour Alain Resnais dans le film On connaît la chanson, ou sur scène dans un musical. Je me donne corps et âme en chantant, il va sans dire, mais le personnage agit comme un filtre ; il me protège. »

Selon Lambert Wilson, ce spectacle, c’est vraiment du théâtre musical, mis en scène d’ailleurs par un metteur en scène de théâtre, Christian Schiaretti. Du même souffle, il ajoute que pour lui tout est musique dans le jeu.

«Montand avait ce goût inné du lyrisme. Le goût de la poésie et d’une zone entre la voix parlée et la voix chantée. Il donnait l’impression de fredonner alors qu’il chantait des choses difficiles, mais avec un naturel… On sent un terrain intermédia­ire, celui de la poésie pure.»

Une sensibilit­é qu’on imagine volontiers Yves Montand partager, d’où, encore, l’évidence de cette rencontre musicale avec Lambert Wilson.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Lambert Wilson réalise un vieux rêve avec son spectacle Wilson chante Montand.

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