Le Devoir

Les enfants de la génération des boat people

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Leurs histoires sont toutes plus ou moins liées à celle des boat people, ces migrants qui ont fui les pays de la péninsule indochinoi­se pour échapper à la dictature communiste. Quarante ans plus tard, ils racontent comment cette histoire les a construits, mais comment, aussi, ils se sentent aujourd’hui éminemment montréalai­s.

« M ontréal, c’est chez nous! » s’exclame Mai Duong. La jeune femme d’origine vietnamien­ne raconte que, lorsqu’elle s’en éloigne, elle finit toujours par fredonner Je reviendrai à Montréal de Robert Charlebois. «Je m’y sens chez moi, au même titre qu’un Québécois de souche», ajoute-t-elle. Son histoire, c’est celle des boat people. Ses parents ont fui le régime totalitair­e du Vietnam dans des bateaux de fortune pour s’entasser avec leurs concitoyen­s dans un camp en Malaisie, avant de débarquer à Montréal. C’était à la fin des années 1970. « Quand ils sont arrivés, ils n’avaient plus rien, raconte-telle. Rien! Pas même de chaussures, de lunettes... Les pirates avaient tout pris. Ils ont recommencé à zéro. » Thi Be Nguyen, elle, a participé à la fuite de ses parents dans la jungle. Vietnamien­ne d’origine, elle était au Laos lorsque les communiste­s ont pris le pouvoir dans toute l’ex-Indochine. Arrêtés une première fois, emprisonné­s, puis relâchés in extremis parce que son père avait de bons contacts, ils ont repris la fuite 18 mois plus tard, cette fois pour de bon. Après plusieurs jours de marche et de bateau sur le Mékong, ils sont arrivés dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

« Les conditions étaient très rudes, raconte celle qui, depuis 17 ans, travaille au service de marketing de la Banque Nationale et qui a tourné un documentai­re sur les boat people de Montréal. Mon père y a perdu sa dignité. Il se faisait battre, comme tous les hommes. Les femmes et les jeunes filles étaient violées. Moi, j’avais quatre ans. Nous sommes partis vers le premier pays qui a voulu de nous. C’était le Canada. » Elle débarque alors à la base militaire de Longue-Pointe, dans Hochelaga-Maisonneuv­e. Le premier contact de la famille avec la civilisati­on occidental­e. Elle raconte comment tout était fascinant, comme le simple fait de prendre une douche, eux qui se lavaient à partir d’un seau à l’extérieur de la maison. La famille s’installe ensuite à SaintLaure­nt. «C’était très multicultu­rel, se souvient-elle. J’ai appris à chanter en hébreu avant même de savoir parler français! » Saint-Laurent, c’est là également que FONKi s’est installé avec sa famille. Son parcours est cependant différent, ses parents ayant eu la chance de quitter le Cambodge pour étudier à Paris juste avant que Pol Pot ne prenne le pouvoir. Ils obtiennent alors le statut de réfugiés et tentent de faire sortir les autres membres de leur famille du pays. Certains y parviendro­nt, d’autres disparaîtr­ont. Lui est né en 1990 à Paris, avant d’arriver, enfant, à Montréal. « C’est comme si la vie de mon père s’était arrêtée au moment de son exil, racontet-il. Beaucoup de gens ont disparu. Moi, j’ai grandi avec ces histoires. C’était comme des contes et légendes. » Les enfants de la génération des boat people ont très vite intégré le risque que leurs parents avaient pris pour leur offrir une vie meilleure, loin de la dictature. « C’est sûr que

ça forge quelqu’un, indique Mai Duong. Quand tes parents ont vécu l’enfer, il t’arrive de te demander qui tu es pour dire que ça ne te tente pas de faire tes devoirs ou d’aider à la maison. » Mai Duong Et pourtant, la jeune femme, aujourd’hui dans le domaine de la publicité, a aussi vécu l’enfer il y a trois ans. Atteinte d’une leucémie, elle avait besoin d’une greffe de cellules souches. Son cas a été médiatisé à l’époque, car elle devait alerter les communauté­s culturelle­s sur l’importance de faire des dons, ces dernières étant sous-représenté­es dans les registres d’Héma-Québec. Depuis, elle est en rémission et elle attend impatiemme­nt de pouvoir se dire officielle­ment guérie. En quête d’identité Elle raconte comment, dans son éducation, le devoir était placé bien au-dessus du vouloir. « Adolescent­e, j’étais tiraillée entre des valeurs opposées, se souvient-elle. Je voyais mes amies qui sortaient et, pour moi, il n’en était pas question. Elles me disaient d’aller négocier, mais on ne négociait pas avec nos parents... » « Nos parents ne connaissai­ent pas l’environnem­ent dans lequel nous grandissio­ns, ajoute Thi

Be Nguyen. Ils avaient peur, nous avons donc été surprotégé­s. Ils craignaien­t également de perdre leur culture. Moi, je suis un mélange de tout ce que j’ai vécu et de toutes les cultures que j’ai côtoyées à Montréal. Mais il m’a fallu du temps pour parvenir à définir mon identité. J’avais 25 ans. » FONKi est aujourd’hui un artiste reconnu. Pour sa part, il estime avoir eu des parents très ouverts d’esprit. Le folklore cambodgien était toujours présent, mais ils étaient ouverts aux autres cultures. Ouverts aussi à l’idée qu’il entreprenn­e les études qui lui plaisent, et non qu’il fasse dentiste, médecin, pharmacien ou ingénieur, des choix de carrière souvent prisés dans ces communauté­s qui privilégie­nt la sécurité plutôt que la passion. « Quand je suis allé au cégep du Vieux-Montréal en arts plastiques, ils se sont un peu inquiétés, avoue-til. Mais ils m’ont laissé faire. » Tous trois estiment ne pas pouvoir rêver mieux que de vivre à Montréal. Pas que tout soit idéal, mais ils ont la certitude d’être tombés dans une ville où le vivre-ensemble est très fort. « Ici, je respire, lance FONKi. Il y a de l’espace, des parcs, des gens partout. » « Très jeune, il y a une très belle façon de s’intégrer : c’est par le sport, ajoute Thi Be

Nguyen. Soutenir le Canadien, ou les Expos en leur temps, ça fédère toutes les communauté­s. » Ça, et se plaindre de la neige, conclut avec humour Mai Duong.

 ??  ?? Guillaume Levasseur
Guillaume Levasseur

Newspapers in French

Newspapers from Canada