Le Devoir

Julien Tourreille

Trump, Macron et les intérêts d’un vieux couple

- JULIEN TOURREILLE

L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française peut apparaître comme un coup d’arrêt — au moins temporaire — à la vague populiste qui a déferlé sur l’Occident en 2016 et qui a notamment porté Donald Trump au pouvoir. Personnali­tés diamétrale­ment opposées, le jeune président français et l’imprévisib­le locataire de la Maison-Blanche parviendro­nt-ils à maintenir un lien transatlan­tique fort?

L’image de la France à Washington

Vieux couple, la France et les États-Unis partagent une relation ancienne, passionnée, tumultueus­e. Les années 2000 furent ainsi marquées par de fortes divergence­s et de vives récriminat­ions entre Paris et Washington. Ce fut particuliè­rement le cas avec la guerre en Irak voulue par le gouverneme­nt W. Bush et à laquelle s’opposa le président Chirac. Depuis le début des années 2010, la France jouit cependant d’une image largement positive à Washington. Trois dossiers contribuèr­ent à ce spectacula­ire retourneme­nt de situation.

Premièreme­nt, en ce qui concerne les ambitions nucléaires de l’Iran, Jacques Chirac imposa dès 2002-2003 une ligne dure. Le président français plaida pour l’imposition de sanctions sévères. Celles-ci permirent de forcer le régime iranien à négocier tout en évitant une nouvelle interventi­on militaire américaine au Moyen-Orient. Cette fermeté de la diplomatie française a été reprise par les présidents Sarkozy et Hollande et a permis à Paris de renouer progressiv­ement une relation de confiance avec Washington.

Deuxièmeme­nt, le retour de la France dans le commandeme­nt intégré de l’OTAN décidé par le président Sarkozy en 2007 a eu pour effet d’atténuer les suspicions américaine­s quant à l’Europe de la défense. Traditionn­ellement perçue à Washington comme une tentative française de distendre le lien transatlan­tique, cette Europe de la défense apparaît aujourd’hui comme une aubaine permettant de partager le fardeau en matière de sécurité internatio­nale.

Troisièmem­ent, les États-Unis ont pu constater au cours des dernières années que la France n’hésite pas à recourir à la force armée. En janvier 2013, les troupes françaises furent déployées de façon décisive pour endiguer la menace djihadiste au Mali. En août de la même année, le président Hollande était prêt à ordonner des frappes contre le régime de Bachar alAssad en représaill­es à l’usage par celui-ci d’armes chimiques contre sa population. Aujourd’hui, les militaires français jouent un rôle clé dans la lutte contre le groupe État islamique en Syrie et en Irak.

Le nouveau président Macron pourra donc tirer profit d’actions entreprise­s par ses prédécesse­urs immédiats à l’Élysée. Grâce à eux, Paris bénéficie d’une réputation enviable et dispose d’alliés importants dans les milieux diplomatiq­ue et militaire américains. Un tel atout ne sera pas du luxe face à un président Trump qui suscite encore de l’incertitud­e et bien des inquiétude­s, notamment chez les alliés européens des États-Unis.

Entente possible sur des enjeux clés

Euroscepti­que affiché, il a accueilli à bras ouverts une première ministre britanniqu­e, Theresa May, cherchant désespérém­ent à la Maison-Blanche un allié alors qu’elle engage son pays sur la voie laborieuse du Brexit. La rencontre avec la chancelièr­e allemande, Angela Merkel, dans le Bureau ovale se caractéris­a par un malaise certain. Avant le premier tour de l’élection présidenti­elle en France, il afficha clairement sa préférence pour la candidate de l’extrême droite, Marine Le Pen, dont il appréciait la fermeté sur les questions frontalièr­es et la volonté de détricoter l’Union européenne.

Les sujets de tensions entre Trump et le nouveau président français, ouvertemen­t pro-européen et favorable aux accords de libre-échange, ne devraient donc pas manquer. Sur les changement­s climatique­s, les réfugiés, ou l’influence de la Russie, les positions de l’actuel locataire de la Maison-Blanche ne favorisent pas un rapprochem­ent et une conjonctio­n de points de vue avec Paris.

Si le président Macron peut être tenté de parier sur une certaine «normalisat­ion» de la politique étrangère de Trump, il aura quand même tout intérêt à mettre d’emblée en avant des dossiers sur lesquels une coopératio­n franco-américaine est possible. Ce pourrait être le cas pour le renforceme­nt du pilier européen de l’OTAN, pour la lutte contre le terrorisme islamiste et pour le dossier nucléaire iranien.

Sur ce dernier, la ligne ferme adoptée par Paris depuis une quinzaine d’années n’est en effet pas si éloignée de la posture plus dure affichée par le gouverneme­nt Trump. Tant que celui-ci n’abandonne pas le mécanisme du «P5 + 1» ni la voie diplomatiq­ue dans son ensemble, Paris et Washington partagent des préoccupat­ions communes: le maintien d’une capacité d’enrichisse­ment dans le programme nucléaire iranien, le rythme de levée des sanctions, ou encore l’ampleur des inspection­s.

Ce ne sera certaineme­nt pas l’amour fou entre Trump et Macron. Les intérêts bien compris de deux partenaire­s de longue date devraient néanmoins permettre d’entretenir une relation fonctionne­lle, indispensa­ble à la bonne santé de l’alliance atlantique.

Macron pourra tirer profit d’actions entreprise­s par ses prédécesse­urs immédiats à l’Élysée

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada