Contre la suite du monde
La réponse à un sondage mené auprès des jeunes belges de la génération «Y» est foudroyante: 59% pensent que l’avenir de leurs enfants sera pire que le leur et 98% croient que les politiciens sont corrompus (Le Devoir, samedi 6 mai 2017). Mais, qu’est-ce qui nous révolte et nous déprime autant, les jeunes? Nous avons tout, il faut bien l’avouer. Ce n’est certainement pas notre condition qui est à plaindre. Nous le savons, merci. Ce sont plutôt les perspectives d’avenir qui nous inquiètent. On se demande même si avenir il y a. Difficile de trancher, car les dieux sont en guerre.
En effet, il est désormais évident, surtout depuis l’élection de Trump, que les scientifiques et les politiciens ne s’entendent pas sur le domaine qui constitue la priorité mondiale. Les premiers insistent sur le fait qu’on doit éviter le gouffre écologique pendant que les seconds gardent le cap sur la croissance économique. Faute de grands leaders politiques ou de Dieu, peut-être, les jeunes s’efforcent de croire en quelque chose : la science. Dans l’optique où la génération «Y» a été éduquée à s’intéresser aux questions sociales et environnementales, il ne faut donc pas s’étonner qu’une importante proportion d’entre nous se trouve mal, alors que les scientifiques s’entendent pour dire que nous fonçons à pleine vitesse dans une catastrophe plantaire environnementale principalement causée par les grandes puissances industrielles (dont la nôtre). Il serait plutôt inquiétant, au contraire, de constater un optimisme généralisé. En un mot, la culpabilité habite plusieurs jeunes de la génération «Y» qui voudraient un avenir mieux défini. Sentiment tantôt paralysant, tantôt moteur d’action. Culpabilité qui porte sur un mode de consommation que nous répugnons, mais perpétuons néanmoins. Puis, culpabilité envers notre incapacité à transformer radicalement celui-ci. C’est à force d’incarner ces tensions que nous sommes effectivement désillusionnés quant à l’avenir.
Postmodernisme
D’abord, il faut dire que le contexte idéologique est lourd. Nous avons vu le jour à l’époque du postmodernisme à la suite de l’après-guerre. Ça sonne comme si nous avions manqué quelque chose, n’est-ce pas? Le préfixe «post» se colle à toutes nos idées, celles des derniers siècles. Nous sommes visiblement dans le «puis après, quoi?». C’est que nos ancêtres ont vaincu les grands obstacles de la nature par la science et la technique. Les prouesses d’aujourd’hui n’en sont que la banale continuité. Il ne nous reste plus qu’à étendre le tout, à «développer» le monde entier. Du moins, c’est la mission qui nous est donnée par la classe politique. Les grandes institutions internationales (PNUD, BM, FMI) font la promotion d’un futur où tous auraient les mêmes «occasions» économiques, on parle même d’un «droit au développement». Ultimement, cela se ferait aussi de manière «durable», selon les dernières tendances environnementales. Rien de moins que la fin de la pauvreté, seulement des humains «dignes» de ce nom. Suffit de creuser un peu pour comprendre ce qui est décourageant. Derrière ce discours, on retrouve encore le même plat froid qu’auparavant: l’impératif de la croissance économique, ici comme ailleurs. On y a ajouté une saveur de moralité pour que ça passe mieux, point. La même assiette, seules les épices diffèrent d’une génération à l’autre.
Ensuite, il y a la grande question de l’avenir écologique de la planète. Vous dites qu’on peut encore et encore servir ce plat rehaussé d’une nouvelle saveur, oui? Très drôle! Imaginez sept milliards — hilarant, plutôt neuf ou onze milliards en 2050 — de voitures pour autant de familles, électriques ou pas, des logements décents, des téléviseurs, puis — tordant — un petit voyage dans les tropiques pour tous lorsqu’il fait trop froid! Cela dit, n’y pensez pas trop: neuf milliards est un nombre qui dépasse largement l’entendement humain. L’inintelligible n’est pas tellement rigolo. Disons plutôt que, depuis 1960, le nombre d’individus sur terre a plus que doublé, le commerce international s’est décuplé, l’eau potable s’est évaporée, le sol s’est vidé de ses nutriments. Force est de constater qu’un avenir entièrement développé selon le rythme de consommation des Occidentaux d’aujourd’hui serait catastrophique. Disons aussi que la Chine, près de quarante fois plus peuplée que le Canada, est en pleine course au développement. […]
À qui la faute? Nous, vous, moi; tous coupables du statu quo. Heureusement, cette nécessité de changer de paradigme fait du chemin dans les esprits. Peut-être est-ce dû au fait que l’état actuel du monde est mieux connu que jamais auparavant? Chose certaine, c’est une chance unique d’en apprendre davantage. Alors, on s’informe du portrait global sur la toile. On discute changement, on critique, on traîne très longtemps à l’université. Malgré cela, on dit une chose et fait son contraire, comme tout le monde. Seulement, l’effort collectif augmente. Le boycottage de certains produits trop nocifs, les pétitions, le végétarisme, etc. Lorsque l’action ne suffit pas, on gueule. Alors, forcément, la nuit, on se fait matraquer par les autorités parce qu’on ne veut rien savoir de la suite du tel monde. Du moins, tel qu’il est (excuseznous de vous déranger, au passage). Après, le jour, plusieurs font du vélo à une seule vitesse, sorte de flagellation moderne pour mieux expier ses fautes (théorie qui expliquerait l’absurdité de la chose, du moins). D’autres, encore, s’habillent comme leurs parents ou leurs grands-parents, inconsciemment nostalgiques d’une époque qu’ils n’auront jamais vécue (hélas!). Puis, chacun rêve de cultiver son lopin de terre à la suite d’une surdose d’écrans et, surtout, pour s’assurer un bon gros banquet au cas où ça tournerait mal…
Ce sont les perspectives d’avenir qui nous inquiètent. On se demande même si avenir il y a.