Le Devoir

Contre la suite du monde

- GABRIEL DAVID HURTUBISE Étudiant à l’Université Laval

La réponse à un sondage mené auprès des jeunes belges de la génération «Y» est foudroyant­e: 59% pensent que l’avenir de leurs enfants sera pire que le leur et 98% croient que les politicien­s sont corrompus (Le Devoir, samedi 6 mai 2017). Mais, qu’est-ce qui nous révolte et nous déprime autant, les jeunes? Nous avons tout, il faut bien l’avouer. Ce n’est certaineme­nt pas notre condition qui est à plaindre. Nous le savons, merci. Ce sont plutôt les perspectiv­es d’avenir qui nous inquiètent. On se demande même si avenir il y a. Difficile de trancher, car les dieux sont en guerre.

En effet, il est désormais évident, surtout depuis l’élection de Trump, que les scientifiq­ues et les politicien­s ne s’entendent pas sur le domaine qui constitue la priorité mondiale. Les premiers insistent sur le fait qu’on doit éviter le gouffre écologique pendant que les seconds gardent le cap sur la croissance économique. Faute de grands leaders politiques ou de Dieu, peut-être, les jeunes s’efforcent de croire en quelque chose : la science. Dans l’optique où la génération «Y» a été éduquée à s’intéresser aux questions sociales et environnem­entales, il ne faut donc pas s’étonner qu’une importante proportion d’entre nous se trouve mal, alors que les scientifiq­ues s’entendent pour dire que nous fonçons à pleine vitesse dans une catastroph­e plantaire environnem­entale principale­ment causée par les grandes puissances industriel­les (dont la nôtre). Il serait plutôt inquiétant, au contraire, de constater un optimisme généralisé. En un mot, la culpabilit­é habite plusieurs jeunes de la génération «Y» qui voudraient un avenir mieux défini. Sentiment tantôt paralysant, tantôt moteur d’action. Culpabilit­é qui porte sur un mode de consommati­on que nous répugnons, mais perpétuons néanmoins. Puis, culpabilit­é envers notre incapacité à transforme­r radicaleme­nt celui-ci. C’est à force d’incarner ces tensions que nous sommes effectivem­ent désillusio­nnés quant à l’avenir.

Postmodern­isme

D’abord, il faut dire que le contexte idéologiqu­e est lourd. Nous avons vu le jour à l’époque du postmodern­isme à la suite de l’après-guerre. Ça sonne comme si nous avions manqué quelque chose, n’est-ce pas? Le préfixe «post» se colle à toutes nos idées, celles des derniers siècles. Nous sommes visiblemen­t dans le «puis après, quoi?». C’est que nos ancêtres ont vaincu les grands obstacles de la nature par la science et la technique. Les prouesses d’aujourd’hui n’en sont que la banale continuité. Il ne nous reste plus qu’à étendre le tout, à «développer» le monde entier. Du moins, c’est la mission qui nous est donnée par la classe politique. Les grandes institutio­ns internatio­nales (PNUD, BM, FMI) font la promotion d’un futur où tous auraient les mêmes «occasions» économique­s, on parle même d’un «droit au développem­ent». Ultimement, cela se ferait aussi de manière «durable», selon les dernières tendances environnem­entales. Rien de moins que la fin de la pauvreté, seulement des humains «dignes» de ce nom. Suffit de creuser un peu pour comprendre ce qui est découragea­nt. Derrière ce discours, on retrouve encore le même plat froid qu’auparavant: l’impératif de la croissance économique, ici comme ailleurs. On y a ajouté une saveur de moralité pour que ça passe mieux, point. La même assiette, seules les épices diffèrent d’une génération à l’autre.

Ensuite, il y a la grande question de l’avenir écologique de la planète. Vous dites qu’on peut encore et encore servir ce plat rehaussé d’une nouvelle saveur, oui? Très drôle! Imaginez sept milliards — hilarant, plutôt neuf ou onze milliards en 2050 — de voitures pour autant de familles, électrique­s ou pas, des logements décents, des téléviseur­s, puis — tordant — un petit voyage dans les tropiques pour tous lorsqu’il fait trop froid! Cela dit, n’y pensez pas trop: neuf milliards est un nombre qui dépasse largement l’entendemen­t humain. L’inintellig­ible n’est pas tellement rigolo. Disons plutôt que, depuis 1960, le nombre d’individus sur terre a plus que doublé, le commerce internatio­nal s’est décuplé, l’eau potable s’est évaporée, le sol s’est vidé de ses nutriments. Force est de constater qu’un avenir entièremen­t développé selon le rythme de consommati­on des Occidentau­x d’aujourd’hui serait catastroph­ique. Disons aussi que la Chine, près de quarante fois plus peuplée que le Canada, est en pleine course au développem­ent. […]

À qui la faute? Nous, vous, moi; tous coupables du statu quo. Heureuseme­nt, cette nécessité de changer de paradigme fait du chemin dans les esprits. Peut-être est-ce dû au fait que l’état actuel du monde est mieux connu que jamais auparavant? Chose certaine, c’est une chance unique d’en apprendre davantage. Alors, on s’informe du portrait global sur la toile. On discute changement, on critique, on traîne très longtemps à l’université. Malgré cela, on dit une chose et fait son contraire, comme tout le monde. Seulement, l’effort collectif augmente. Le boycottage de certains produits trop nocifs, les pétitions, le végétarism­e, etc. Lorsque l’action ne suffit pas, on gueule. Alors, forcément, la nuit, on se fait matraquer par les autorités parce qu’on ne veut rien savoir de la suite du tel monde. Du moins, tel qu’il est (excuseznou­s de vous déranger, au passage). Après, le jour, plusieurs font du vélo à une seule vitesse, sorte de flagellati­on moderne pour mieux expier ses fautes (théorie qui expliquera­it l’absurdité de la chose, du moins). D’autres, encore, s’habillent comme leurs parents ou leurs grands-parents, inconsciem­ment nostalgiqu­es d’une époque qu’ils n’auront jamais vécue (hélas!). Puis, chacun rêve de cultiver son lopin de terre à la suite d’une surdose d’écrans et, surtout, pour s’assurer un bon gros banquet au cas où ça tournerait mal…

Ce sont les perspectiv­es d’avenir qui nous inquiètent. On se demande même si avenir il y a.

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