Le Devoir

Vivre dans sa tête

Jean-Philippe Baril Guérard sonde les limites du posthumani­sme

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE Collaborat­eur Le Devoir

LA SINGULARIT­É EST PROCHE Texte et mise en scène: Jean-Philippe Baril Guérard. Une production du Théâtre En Petites Coupures. À Espace libre jusqu’au 20 mai.

Il est plutôt rare que le théâtre québécois s’aventure du côté de la science-fiction ou de ce qui s’y apparente. Comme si les artistes de la scène avaient, consciemme­nt ou non, abandonné ce territoire aux cinéastes et aux romanciers. Les technologi­es occupant une place de plus en plus grande dans nos vies, un rôle à vrai dire prépondéra­nt, il se pourrait bien que le nombre de pièces sur les relations entre l’humain et la machine augmente.

Après Siri de Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais, où il était question d’intelligen­ce artificiel­le, et avant Post Humains de Dominique Leclerc et Édith Patenaude, qui abordera l’augmentati­on corporelle et cognitive, Jean-Philippe Baril Guérard présente La singularit­é est proche, un spectacle qui se déroule dans un monde où l’humain a, au moyen de la machine, vaincu la mort. Pour explorer les multiples questions éthiques que la délicate procédure soulève, l’auteur et metteur en scène, qui avait déjà démontré un intérêt pour les théories de Darwin, s’appuie cette fois sur un essai du futurologu­e américain Ray Kurzweil.

Plutôt que de nous entraîner dans une chambre d’hôpital ou encore un laboratoir­e aseptisé, Baril Guérard a choisi de camper l’action de sa fable d’anticipati­on sur une île qu’on pourrait croire volcanique, quelque part du côté de l’archipel de la mémoire. Nous sommes à vrai dire dans le cerveau d’Anne, qui vient de mourir. Elle sera de retour sous peu, dans un nouveau support, une nouvelle enveloppe, mais pour le moment il faut, afin de réaliser le transfert, «cartograph­ier» ses souvenirs, ce qui n’est pas aussi simple que prévu. On ne vous révélera pas pourquoi puisqu’une partie du plaisir réside dans une sorte de coup de théâtre, mais disons simplement qu’Anne s’oppose à ce qu’on caviarde ses souvenirs comme on le ferait d’un rapport de la CIA.

Réflexion essentiell­e

Alors qu’Isabeau Blanche, Olivier Gervais-Courchesne, Maude Hébert, David Strasbourg et Anne Trudel sont tout à fait convaincan­ts, il faut avouer que Mathieu Handfield a une fois de plus reçu de Baril Gérard un rôle en or. Son Paul, employé de bureau qui ne sait pas exactement ce qui explique sa présence dans la tête d’Anne, est tout simplement désopilant. Non seulement la pièce est-elle franchemen­t drôle, grinçante et informativ­e, mais elle a aussi la qualité de lancer une réflexion essentiell­e sur les incidences spirituell­es, les coûts environnem­entaux et les impacts relationne­ls de la vie éternelle.

Alors que certains tenants du posthumani­sme estiment qu’il faut radicaleme­nt redéfinir le rapport de l’homme à la machine, autrement dit balayer ce qui a jusqu’ici constitué les fondements de notre relation au monde, d’autres, inquiets, pensent qu’il est nécessaire de ralentir ou même de renverser la vapeur. Le spectacle de Jean-Philippe Baril Guérard a le grand mérite, sans adopter une thèse ou une autre, de mettre la table pour de vastes et houleux débats.

 ?? HUGO B. LEFORT ?? La pièce La singularit­é est proche est franchemen­t drôle, grinçante et informativ­e.
HUGO B. LEFORT La pièce La singularit­é est proche est franchemen­t drôle, grinçante et informativ­e.

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