Le Devoir

L’interrogat­oire de Lula creuse les divisions au Brésil

- EUGENIA LOGIURATTO à Brasília DAMIAN WROCLAVSKY à Curitiba

Coupableou­innocent?Roi de la corruption ou victime d’une machinatio­n judiciaire? Le Brésil était plus divisé que jamais vendredi, deux jours après l’interrogat­oire-fleuve de son emblématiq­ue ex-président, Luiz Inácio Lula da Silva.

L’audience devant le juge anticorrup­tion Sergio Moro, à Curitiba (sud), s’est déroulée à huis clos et l’icône de la gauche brésilienn­e, âgé de 71 ans, qui a dirigée le pays de 2003 à 2010, est venue se défendre d’accusation­s selon lesquelles elle aurait reçu un appartemen­t en triplex dans une station balnéaire en guise de pot-de-vin du groupe de constructi­on OAS.

« Je n’ai jamais sollicité et je n’ai jamais reçu le moindre appartemen­t », a assuré l’ancien ouvrier métallurgi­ste durant l’interrogat­oire, selon les images diffusées par la justice brésilienn­e. «Je considère que ce procès est illégitime et je dénonce une mascarade », a-t-il ajouté.

«Je ne crois pas que la déposition et les images diffusées aient été en elles-mêmes bénéfiques ou nuisibles à Lula. Elles servent surtout à attiser la polarisati­on de la société brésilienn­e », estime le docteur en sciences politiques Nuno Coimbra, chercheur à l’Université de São Paulo (sud-est).

Selon lui, il y a «deux récits qui s’opposent» quant au rôle du cofondateu­r du Parti des travailleu­rs (PT, gauche) dans ce scandale de corruption, le plus important de l’histoire du Brésil, révélé par l’enquête «Lavage express» et portant notamment sur les marchés publics truqués du géant pétrolier étatique Petrobras.

Ses partisans estiment ainsi qu’il «existe une persécutio­n politique pour empêcher que Lula soit candidat en 2018 » à la présidenti­elle, au moment même où il est en tête des intentions de vote, résume l’analyste politique.

Ses adversaire­s affirment au contraire que «les principaux responsabl­es de tout ce réseau de corruption […] que Lavage express est en train de révéler sont le PT et Lula », car ils étaient au pouvoir ces 13 dernières années, de 2003 à 2016, ajoute-t-il.

Pendant l’interrogat­oire, Lula a reconnu avoir visité l’appartemen­t incriminé avec un représenta­nt d’OAS, mais affirmé que ni lui ni son épouse n’ont souhaité l’acheter, notamment à cause de « nombreux défauts» de fabricatio­n.

«Intentions politiques»

Au total, Lula est visé par cinq procédures judiciaire­s et les accusation­s concernant le triplex ne constituen­t qu’un seul volet de l’enquête.

Le verdict n’est pas attendu avant plusieurs semaines. S’il est reconnu coupable et la décision confirmée en appel, il encourt une peine de prison et ne pourra pas se présenter à l’élection présidenti­elle de 2018.

«Si j’ai commis un crime, prouvez-le. Exposez-le à la société et Lula sera puni comme n’importe quel citoyen […]. Mais pour l’amour de Dieu, présentez une preuve!» a lancé l’ancien chef d’État, furieux, dans les dernières minutes de son audition.

La défense de Lula assure que le juge Sergio Moro, devenu pour une partie des Brésiliens le héros de la lutte contre la corruption, cache des « intentions politiques», la principale étant d’écarter leur client de la course à la présidenti­elle.

«Cela n’a pas été un interrogat­oire normal, non seulement en raison du caractère politique des questions formulées, mais aussi à cause des diverses déclaratio­ns du juge tout au long de l’audience, qui ont montré que clairement, c’est une personne qui juge par avance l’ex-président Lula», a déclaré Cristiano Martin, un de ses avocats.

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