Le Devoir

Un paysage béni des dieux

De Colorado Springs à Manitou, le circuit du Grand Esprit

- HÉLÈNE CLÉMENT à Colorado Springs

À 112 kilomètres au sud de Denver, à l’ombre du Pikes Peak, dont le sommet culmine à 4301 mètres, nichent les villes de Colorado Springs et de Manitou et leur flopée de sources d’eau minérale, jadis connue des trappeurs canadiens sous le nom de «Fontaine-qui-bouille». On vient y chercher la santé et le plaisir depuis des lunes, mais aussi des paysages qui subjuguent. Comme celui du Garden of the Gods, une pure merveille de la nature!

Imaginez un cirque entouré de rochers abrupts, dont le plateau verdoyant est parsemé de rocs portant des noms aussi fantaisist­es que leurs formes: Balanced Rock, Cathedral Spires, Kissing Camels, Tower of Babel… Certains atteignent 90 mètres de hauteur. Le genre de merveille qui reste dans la voûte céleste des étrangetés naturelles. C’est en 4x4 que nous avons sillonné le «Jardin des dieux» que seul habite le spectre du Grand Esprit. Parsemé de quelque 300 colossales roches en grès rouge aux formes bizarroïde­s, le fameux parc urbain de 560 hectares, situé à 75 minutes de Denver, enflamme l’imaginatio­n.

«La légende raconte que les Amérindien­s visitaient souvent les sources minérales de la “Fontaine-qui-bouille” », écrit Honoré Beaugrand, journalist­e, homme politique et auteur du récit de voyage Six mois dans les Montagnes-Rocheuses. Colorado, Utah, Nouveau-Mexique.

«Ils y conduisaie­nt leurs malades, leurs blessés, leurs éclopés », relate le fondateur du journal La Patrie. Ils croyaient que le Grand Esprit qui peuplait le Jardin des dieux avait soufflé le souffle de la vie dans les eaux de Manitou. Ils buvaient ces eaux et y lavaient leurs blessures.

Après avoir visité les sources, les Amérindien­s se rendaient dans le Jardin des dieux pour offrir des sacrifices au Grand Esprit, en témoignage de leur gratitude pour ses guérisons. Puis, les

jeunes guerriers se livraient à des jeux d’adresse et à des exercices de guerre.

Les monolithes de grès rouge, érodés par les eaux, les vents, la poussière, le gel et le dégel et plantés là au milieu d’herbage, de fleurs, de buissons et de conifères, ont au fil du temps frappé si fort l’imaginatio­n que ce parc protégé fut nommé en 1859 Garden of the Gods.

Décharge d’adrénaline et contemplat­ion

Découvrir le parc en jeep avec un guide-chauffeur à l’allure de cow-boy a son charme, mais pour en capter l’âme, rien n’égale une exploratio­n des lieux à pied, à vélo ou à cheval. Et je doute qu’une photo puisse jamais rendre la grandeur imposante de ce beau caprice de la nature.

En certains lieux, le site rappelle le Far West des films: rochers orangés sur ciel bleu, chemins poussiéreu­x, tunnels taillés dans le roc… Le Jardin des dieux n’a pas la stature de Monument Valley, mais on y goûte au frisson que procurent les paysages de l’Ouest américain.

Une vingtaine de kilomètres de sentiers pédestres sillonnent le parc du nord au sud et d’est en ouest. Certains de ces chemins mènent à l’écart de la foule, de sorte qu’il est possible d’admirer la nature sans que le théâtre soit obstrué par un rideau de perches à égoportrai­ts.

Le sentier de cinq kilomètres Palmer/Scotsman/Buckskin/Ute/Bretag Loop, par exemple, contourne presque entièremen­t le parc, en retrait du chemin asphalté emprunté par la majorité des visiteurs. Un sentier qui mène vers des rochers où l’on s’adonne à l’escalade.

En arrière-plan, le Pikes Peak. On ne se lasse pas de le photograph­ier. Surtout lorsque, entre deux virages poussiéreu­x de la fameuse route Gold Camp Road, son sommet, à plus de 4000 mètres, se dévoile derrière une formation rocheuse qui semble jaillir des entrailles de la terre.

L’imaginatio­n s’emballe une fois de plus. On pense à l’époque où la montagne — l’un des 54 sommets à plus de 4000 mètres (fourteener­s) de l’État du Colorado — attirait en ses mines les prospecteu­rs du monde, au temps de la ruée vers l’or. C’était le Pic Pikes, ou « Fais faillite » !

Les secrets de la région ne se percent pas du premier coup. Il s’en passe, des choses, ici, depuis cette époque qui a vu naître en 1858 la ville de Denver, en 1861 le territoire du Colorado et en 1876 l’État du Colorado, le 38e des États-Unis et l’un des seuls totalement rectangula­ires.

L’ascension du pic s’effectue à pied, en voiture, en train à crémaillèr­e ou en auto de course pour qui participe à la fameuse Pikes Peak, ou course vers les nuages, la course de côte la plus célèbre du monde. Un tracé de 19,93 kilomètres et 156 virages qui se termine à 4305 mètres. Il paraît que même les moteurs d’autos de course ont de la difficulté à s’oxygéner en altitude. C’est fou !

À pied? Prévoir de six à dix heures. Une marche difficile sur un sentier de gravier, mais qui offre des points de vue sensationn­els sur Denver et les Rocheuses, visibles à 150 kilomètres à la ronde. En voiture? Oui, mais au prix d’une trentaine de dollars par véhicule et… d’un flacon de Gravol.

On négocie ici quelque 150 courbes et une altitude à plus de 4300 mètres. Au volant d’une Norma M20 RD? Mieux vaut laisser ça aux coureurs du calibre de Romain Dumas.

Une autre façon, et non la moindre, d’atteindre le sommet de cette montagne devenue avec le temps l’icône de Colorado Springs, c’est en montant à bord du train à crémaillèr­e Pike Peak Cog Railwail, à Manitou, pour une croisière à grand spectacle de trois heures aller-retour.

Le chemin de fer à crémaillèr­e le plus élevé au monde longe Ruxton Creek, dans l’Englemann Canyon, et Minnehaha Falls, avant de franchir l’ouverture naturelle Hell Gate.

Les effets de l’altitude

Au terme d’une montée abrupte de 75 minutes au-dessus de la ligne des arbres, le train effectue une pause au sommet d’une trentaine de minutes, pas plus, pour éviter les effets du mal d’altitude.

La visite en jeep débute au Visitor and Nature Center, à l’entrée du parc. Le temps manque pour y visionner le spectacle multimédia, élu en 2014 par les utilisateu­rs du site d’avis et de conseils touristiqu­es Tripadviso­r l’attraction numéro 1 aux États-Unis, qui raconte la naissance de ces rochers et leur évolution dans le temps.

«En bref, c’est le résultat d’un bouleverse­ment volcanique, de séismes et du brassage terrestre lors de l’élévation des Rocheuses et du Pikes Peak, explique Doug, notre guide. La preuve des âges passés se lit dans les roches. Ici les mers anciennes, là les restes érodés de vieilles chaînes de montagnes, les cônes alluviaux, les plages et des champs de dunes…»

Ne pas oublier, avant de quitter le musée naturel, de prendre la carte qui répertorie chacune des formations rocheuses aux silhouette­s évocatrice­s, avec leurs noms et leurs caractéris­tiques.

Avant de sillonner les routes du Jardin des dieux, nous traversons le centre historique Old Colorado City. Les dieux sont avec nous: aucune circulatio­n! Le plaisir de voyager hors saison. Le guide montre du doigt de jolies maisons victorienn­es entourées de vieux arbres. En cette mi-octobre, les feuilles sont en feu, ajoutant encore plus de charme à l’endroit.

«Il y a un mois, Robert Redford et Jane Fonda étaient ici pour le tournage du film Our Souls at Night, raconte fièrement Doug en pointant la jolie maison qu’occupait l’une des deux icônes du cinéma hollywoodi­en. Adapté d’un roman de l’écrivain Kent Haruf, le film raconte l’histoire de deux veufs, Addie [Jane Fonda] et Louis [Robert Redford], amis depuis de nombreuses années dans un village du Colorado [voilà, nous y sommes!]. Ils sont voisins et vivent seuls dans leur grande maison. Un jour, Addie rend visite à Louis dans l’espoir d’une nouvelle relation. Ils rapprochen­t leur solitude. Un film signé Netflix qui verra le jour en 2017.»

En tout cas, jamais je n’aurai été aussi près de l’homme qui a murmuré à l’oreille des chevaux et qui m’a tant fait rêver de l’Afrique dans Out of Africa. Our Souls at Night et Old Man with a Gun sont les deux derniers projets de Robert Redford. L’icône hollywoodi­enne, qui aura 81 ans en août prochain, met fin à sa carrière d’acteur pour se concentrer à la réalisatio­n.

Avant de sillonner les routes du Jardin des dieux, nous traversons la Old Colorado City

La ruée vers l’or

Spencer Penrose a fait fortune à Colorado Springs. Au temps de la ruée vers l’or de Cripple Creek, l’homme d’affaires a investi sa fortune judicieuse­ment. On lui doit la route qui mène au sommet de Pikes Peak et le luxueux hôtel Broadmoor, au pied du mont Cheyenne.

À propos, il paraît que, dans le ventre du mont Cheyenne, à 600 mètres de profondeur, niche le Commandeme­nt de la défense aérienne pour l’Amérique du Nord (NORAD). Et que cette base militaire serait dotée de portes blindées antisouffl­e de 25 tonnes, censées résister à une attaque nucléaire de cinq mégatonnes si l’explosion avait lieu dans un rayon de cinq kilomètres. On dit que le président des États-Unis y trouverait refuge en cas d’attaque nucléaire.

Quant aux sources d’eau, elles sont l’attraction touristiqu­e la plus importante de la ville de Manitou Springs. Pour les dénicher, il faut chercher les fontaines décorative­s.

On peut se procurer au Manitou Springs Chamber of Commerce and Visitors Center une petite tasse en plastique pour goûter l’eau de chacune de ces fontaines et trouver la liste des effets bénéfiques. On constate que l’eau diffère de l’une à l’autre. Des tours guidés de ces sources sont proposés en été.

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PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT Le plateau verdoyant du Garden of the Gods est parsemé de formations rocheuses portant des noms aussi fantaisist­es que leurs formes. Une vingtaine de kilomètres de sentiers pédestres sillonnent le parc naturel. Ici, les rochers Ho.
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Les sources thermales sont l’attraction touristiqu­e principale à Manitou Spings. Il faut chercher les fontaines décorative­s, dont le goût de l’eau diffère de l’une à l’autre.
 ?? PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT ?? Circuit en 4x4: la route emprunte une ancienne voie ferrée, le Colorado Springs Purple Creek Short Line Railroad, et traverse deux tunnels historique­s.
PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT Circuit en 4x4: la route emprunte une ancienne voie ferrée, le Colorado Springs Purple Creek Short Line Railroad, et traverse deux tunnels historique­s.
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Colorado Springs: le Broadmoor, au pied du mont Cheyenne. En saison, 2000 personnes travaillen­t dans cet hôtel historique.

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