Le Devoir

Ail, ail, ail… noir

Après avoir conquis les chefs, l’intrigant produit de l’entreprise L’ail de l’île arrive à l’épicerie

- *Certaines personnes font de l’ail noir avec un cuiseur à riz. Un kilo à la fois, pour un résultat variable (difficile de contrôler le taux d’humidité dans l’appareil). Ici, à L’ail de l’île, on parle de centaines de kilos! SOPHIE SURANITI

Au lieu d’une bouteille, de fleurs ou d’un livre, j’ai rapporté une tête d’ail noir. Puis j’en ai proposé en bouchées apéritives simplement tartinées sur du pain. Pendant une courte semaine, j’ai salivé la vie en noir. Noir comme ces gousses d’ail fondantes couleur suie, au goût umami. Vite englouties.

Tout intrigue dans cet ail noir. D’abord, sa couleur noire abyssale qui se dévoile sous la peau fripée de la gousse. Une fois pelée, la chair dense à la texture moelleuse s’extrait délicateme­nt. On s’en met alors un peu sur les doigts, ça s’écrabouill­e sur la peau, on lèche… Bam!

En bouche, c’est vinaigre balsamique, figue, pruneau ou prune confite, chocolat noir… À la fois doux, chaud, soyeux, sucré. Du vrai bonbon. Comment obtient-on ce résultat? Après la récolte, les bulbes d’ail sont mis à sécher quelque temps à l’air libre et sous abri. Puis, on les place dans une étuveuse où ils sont chauffés entre 40 °C et 100 °C, dans un environnem­ent ayant un certain taux d’humidité pendant plusieurs semaines.

Températur­e, hygrométri­e, durée. Ces trois facteurs combinés déclenchen­t le processus de caramélisa­tion de l’ail. Ni confisage ni fermentati­on, mais une lente conversion des sucres naturels appelée «dégradatio­n enzymatiqu­e» qui se met en marche sous l’effet de la chaleur — encore la fameuse réaction de Maillard!

Un concentré de saveurs

Un mois d’étuvage et un mois de séchage plus tard, et voilà notre ail transformé en un concentré de saveurs complèteme­nt adoucies. «Au début, on en a fait des cailloux avant de

trouver les bons réglages!» rigole Jean-François Émond au téléphone. Au bout de son île… d’Orléans! Car cet ail noir est originaire de Sainte-Famille. Un produit bien de chez nous, non importé du Japon ou de la Corée (les deux pays se disputent cette création), où ce condiment très prisé a été mis au point au début des années 2000.

Certains ont un rêve d’enfant couplé à un rêve gourmand. D’autres ont des idées gourmandes et croisent des rêveurs gourmands. Jean-François Émond rêvait d’être fermier. Il y a dix ans, le projet de cet ancien gestionnai­re immobilier a pu se concrétise­r sur l’île d’Orléans. Il achète une ferme à Sainte-Famille, y élève des canards et ouvre un cassecroût­e de terroir saisonnier.

Parmi sa clientèle d’habitués, plusieurs chefs et cuisiniers du coin. Il se lie d’amitié avec l’un d’eux, Matthew LeBlanc, qui un jour lui demande : «Connais-tu ça, l’ail noir?»

L’idée trotte en tête, germe… jusqu’à ce que le duo décide d’acheter une tonne d’ail biologique (de la Music, une variété commune qui pousse très bien au Québec) auprès d’un producteur de l’île. À l’automne 2016, une moitié est plantée sur les terres de la ferme de Jean-François, l’autre moitié est transformé­e en ail noir.

Des secrets de fabricatio­n

Outre l’idée, Matthew a aussi glané quelques secrets de fabricatio­n auprès d’un contact à lui qui en fait. Dont cet équipement incontourn­able: l’étuve. Justement, JeanFranço­is a un ami ingénieur! Pour commencer les tests, Robert Duplain transforme deux réfrigérat­eurs en étuves. À la fin de l’été 2016, lors d’une vente à l’encan de surplus de matériel de recherche d’Agricultur­e Canada, le trio d’associés met la main sur des étuves de laboratoir­e.* Une aubaine!

«On verra si l’ail noir est une mode passagère. On disait cela des sushis. Finalement, ils sont toujours là», dit le fermier reconverti qui, chaque jour, lance une oeillade à ses plantation­s et qui a bien hâte de faire sa première récolte, à la mijuillet. Fleur d’ail pour pesto, ail noir… la jeune entreprise L’ail de l’île entend diversifie­r ses produits. Matthew Leblanc a d’ailleurs quitté son emploi de sous-chef pour se consacrer à temps plein à l’entreprise et reprendre les rênes du casse-croûte.

La certificat­ion biologique

Certains gros entreprene­urs dans l’agroalimen­taire s’intéressen­t à l’entreprise. Mais Jean-François souhaite y aller étape par étape. Comme terminer les démarches pour obtenir d’ici trois ans (période de transition exigée) la certificat­ion biologique.

Tout comme il met un bémol aux prétendues vertus thérapeuti­ques de cet ail noir. «On me pose souvent la question. Je réponds que nous faisons de l’ail noir d’abord pour le goût et que c’est bon pour la santé mentale!» Si l’ail frais rebute les mauvais esprits, l’ail noir attire les démons gourmands.

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PHOTOS FRANCIS VACHON LE DEVOIR Le processus de caramélisa­tion de l’ail n’est pas déclenché par le confisage ou la fermentati­on, mais par une lente conversion des sucres naturels appelée «dégradatio­n enzymatiqu­e».
 ??  ?? Les associés de L’ail de l’île, Robert Duplain, Matthew LeBlanc et Jean-François Émond, avec Confite, la mascotte de la ferme et du casse-croûte!
Les associés de L’ail de l’île, Robert Duplain, Matthew LeBlanc et Jean-François Émond, avec Confite, la mascotte de la ferme et du casse-croûte!
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