Le Devoir

L’eldorado des nouvelles plateforme­s n’est pas une chimère

Comment un documentai­re indépendan­t a quintuplé ses revenus potentiels

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Une bonne idée peut générer un bon succès. Faire un documentai­re sur le monde des développeu­rs indépendan­ts de jeux vidéo était une excellente idée. Les Canadiens James Swirsky et Lisanne Pajot l’ont eu il y a sept ans. Ils en ont fait un impression­nant succès en demeurant les maîtres d’oeuvre de toutes les étapes du projet, de son financemen­t jusqu’à sa diffusion mondiale.

Indie Game: The Movie a été autoprodui­t avec de l’argent du public puis diffusé en festival, en salles classiques, par DVD et sur différente­s plateforme­s numériques. L’équipe de Winnipeg a écoulé en ligne un tas de marchandis­es promotionn­elles. Le documentai­re est maintenant disponible en 22 langues.

«Nous sommes deux et seulement deux, et nous avons rejoint un auditoire de trois à six millions de personnes avec notre film», a fièrement expliqué James Swirsky aux quelque 300 profession­nels québécois réunis à Tremblant la semaine dernière pour le congrès annuel de l’Associatio­n québécoise de production médiatique (AQPM).

La généreuse démonstrat­ion du jeune producteur voulait illustrer ce qu’il peut arriver de mieux aux créateurs contempora­ins indépendan­ts. Du moins à ceux qui savent négocier avec les avantages qu’offrent la révolution numérique, les réseaux sociaux en ligne, les nouveaux pures players de diffusion et le financemen­t participat­if.

Tout a commencé là pour Indie Game au début de la décennie. Le site Kickstarte­r a permis d’amasser environ 30 000 $ pour lancer le projet. Pendant le tournage qui a duré deux ans, le couple Swirsky-Pajot a écrit 197 blogues, 21 783 tweets et 10 286 courriels pour construire et entretenir un réseau de fans du work in progress avec le site indiegamet­hemovie.com. À la fin de la production, l’équipe avait en main une liste d’envoi riche de 30 000 membres. « Nous avons construit notre auditoire en même temps que nous construisi­ons le film», résume M. Swirsky.

C’est parti

Le film a été sélectionn­é par le festival Sundance en 2012, où il a gagné le prix du meilleur

montage. Un diffuseur a alors fait une offre de sortie dans quelques salles pour un montant fixe en échange de la cession des droits pour les sorties numériques.

«On sentait que l’on connaissai­t mieux que ces gens soi-disant avertis comment négocier en ligne», résume M. Swirsky

pour expliquer la décision de refuser l’offre. Sans ouvrir ses comptes, le détenteur d’une maîtrise en administra­tion des affaires a expliqué que cette propositio­n de Sundance était de X et que toutes leurs démarches indépendan­tes subséquent­es ont rapporté quinze fois plus, 15 fois X.

La visibilité de Sundance a facilité la sortie en salle dans une quinzaine de villes du Canada et des États-Unis en mai et juin 2012. Les cinémas étaient pleins presque à tout coup, grâce à la communauté construite à la première étape. La marge de profit empochée se fixait à 87%, par rapport à 12% pour une alliance commercial­e avec un diffuseur traditionn­el. «À cette étape, notre grande angoisse c’était le piratage, avoue le cinéaste. Paul Allen [cofondateu­r de Microsoft] a voulu une copie du film et on a dit non.»

Ça continue

Les sorties numériques se sont ensuite enchaînées en juillet. D’abord sur iTunes (où il est devenu le documentai­re le plus vu pendant quatre semaines), sur la plateforme Steam, qui distribue surtout des jeux vidéo, et sur le site personnel des producteur­s. En octobre 2012 le docu arrivait sur Netflix, où il a probableme­nt été vu un million de fois (le site ne fournit pas cette donnée). « Pour nous, Netflix a donné une seconde vie à la production, explique M. Swirsky. En l’utilisant correcteme­nt après d’autres moyens, cette plateforme a tourné à notre avantage.»

Ce gros joueur a par exemple fait rebondir d’environ 20 % les ventes sur les autres plateforme­s. La popularité de la production a aussi aidé à faire fleurir les ventes de produits dérivés, qui ont généré environ 30% des revenus totaux. Dans les faits, plus d’un téléspecta­teur sur cent aurait acheté un t-shirt au beau logo du documentai­re, son affiche ou un DVD. Un fan, lui-même créateur de jeux, en a commandé 22. Certains de ces souvenirs étaient dédicacés par les auteurs. «Je peux dire que ça prend environ neuf heures signer son nom 12 000 fois», dit M. Swirsky.

Une édition spéciale du film a été préparée en bout de course. Les cinéastes voulaient d’abord remplir une promesse faite à quelques partenaire­s financiers du public qui s’étaient engagés à fournir plus de 100$ pour lancer la production. L’extension du film de 96 à environ 300 minutes (en coffrets de trois disques vendus 60$) a demandé encore six mois de montage fin 2013. Toutes les copies ont trouvé preneurs et généré environ 10% des revenus totaux d’Indie Game: The Movie.

Ce genre de succès, basé sur une bonne idée, peut-il se dupliquer ? L’idéateur-entreprene­ur du numérique répond en exposant sept leçons tirées de son expérience. Il faut faire faire confiance au long terme; comprendre que les outils ne sont que des outils ; commencer le travail de réseautage très tôt; utiliser de l’aide profession­nelle de temps en temps; constater que les droits d’auteur ne servent que si on les exploite; ne jamais arrêter le processus de mise en marché ; et admettre que l’exploitati­on indépendan­te d’une production médiatique ne convient ni à tous les producteur­s ni à tous les projets. Bien noté, et merci.

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SOURCE INDIE GAME : THE MOVIE Philippe Poisson, alias Phil Fish, est l’un des développeu­rs de jeux vidéo indépendan­ts mis en vedette dans Indie Game: The Movie.
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DANNY MOLOSHOK AGENCE FRANCE-PRESSE

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