Voyager sur les ondes avec des antennes
Pour nous, le concept d’ondes s’est résumé ces temps-ci au champ liquide, avec le clapotis ou la furie des flots dans un Québec transformé en Atlantide. L’eau montant jusqu’aux cuisses des politiciens et des journalistes en gros plans, comme des sinistrés aux yeux égarés dans une vapeur plus floue, ces rues transformées en bayous, nous ont envoyé des signaux angoissants: les catastrophes naturelles se multiplient au gré des changements climatiques et de nos négligences, qu’on se l’avoue ou pas. La décrue peut bien être amorcée, on est mal préparés aux lendemains qui déchantent. Avec Trump en position climatosceptique sur son gros trône américain, l’avenir paraît bien mal barré.
L’autre matin, je me suis rendue au Planétarium. Un cadre idéal pour sentir la petitesse humaine sous la voûte étoilée, comme la fragilité d’une planète qu’on aurait intérêt à cesser de maganer. Fort petite tout à coup, cette Terre-là, et vulnérable: un point sphérique sur l’écrandôme. Trop d’eau chez nous, trop de sécheresse dans l’Afrique subsaharienne, songet-on, pas rassuré.
On peut y voir le film de Philippe Baylaucq, Kyma, ondes en puissance, sur 360 degrés, première coproduction entre Espace pour la vie et l’ONF. Ce voyage astral de l’atome à la Voie lactée passe par Montréal et Baie-SaintPaul, sur musique de Robert Marcel Lepage. Il invite aux méditations écologistes en changeant l’échelle des plans et en offrant au public une sorte d’état de transe.
Nous voilà sautant d’une dimension à l’autre, pour pénétrer tantôt une simple goutte, tantôt le cosmos. À un moment donné, avec les poissons sous l’eau, on se croit plongés dans le liquide de déluge des dernières semaines à l’heure du grand plouf final. Pour la partie urbaine de cette oeuvre immersive, les ondes prennent un autre sens, émergeant des radios, des cellulaires, traversant l’espace humain comme des champs magnétiques afin de mieux nous bombarder.
Regards d’artistes
Si c’est beau, Kyma, ondes en puissance ? Oui, comme une symphonie visuelle et musicale remplie de trouvailles, parfois sous prises de vue réelles, avec acrobates dans leurs cerceaux, musiciens d’orchestre et paysages mêlés aux images virtuelles.
Faut pas se raconter d’histoires ; les nouvelles technologies sont logées à la même enseigne que les anciennes. Quand des regards d’artistes les animent, on entre en poésie, sinon l’oeuvre reste au ras de son médium. Chose certaine, nombreux sont les créateurs à faire le saut dans ces terres à défricher. On les cherche un bout de temps, demandant, comme Victor Hugo : «Où sont-ils? Sont-ils rois dans quelque île?», pour les retrouver à l’exploration de nouveaux médiums, en train de marier l’art, la science et la découverte.
Philippe Baylaucq, les cinéphiles l’ont suivi longtemps comme cinéaste, documentariste de tous les arts, de la danse à la peinture, en passant par l’architecture. On lui devait en 2003 une délicieuse animation pour enfants Hugo et le dragon, avec chevauchée déjà de la Voie lactée. C’est la troisième fois qu’il réalise des oeuvres immersives au Planétarium et la première sans narration, sous armature musicale. Le cinéaste dit aimer jouer avec les nouveaux langages. Il a été sculpteur avant de pétrir des matières sans matière, avait tâté de la thermographie 3D à travers son court métrage ORA.
Il croit à raison que les poètes munis d’antennes sont (avec les astronomes) les mieux capables de saisir la structure de l’univers. Ayant fait de la musique auparavant, le dialogue avec Robert M. Lepage en fut facilité.
Tous les arts se parlent, mais si un d’entre eux peut vraiment s’apparenter à une onde, c’est la musique qui suit son courant à travers sa sphère immatérielle, monte et descend comme une vague à nos tympans. Dans Kyma, les voix autant que les partitions orchestrales, le rythme jazzé, les sons électroniques et les bruitages de Robert M. Lepage font plus qu’épouser les images de ce conte allégorique en plusieurs dimensions. L’hypnotique trame sonore donne le la au film entier.
Pas fou de plonger dans la cosmologie qu’ils nous offrent à l’heure où l’horloge de la fin du monde indique minuit moins deux minutes et demie… On se dit ça en passant.
L’eau à la bouche
Histoire de rester dans la métaphore aquatique, c’est pour nous mettre l’eau à la bouche que tout un ramdam avec conférence de presse est fait autour des bandes-annonces des grosses productions américaines. Le Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, 35 ans après la sortie du classique d’anticipation de Ridley Scott, en témoigne encore. C’est quand même juste un coup de pub des grands studios.
Il est vrai que ces bandes-annonces sont devenues des courts métrages en soi. Celle du nouveau Blade Runner apparaît d’ailleurs somptueuse, mais le jeu promotionnel est parti en peur. Pas prêt pour Cannes, ce film si attendu, d’ailleurs mieux casé pour la course aux Oscar lors des rendez-vous d’automne, mais les bandes-annonces se prennent désormais pour les films, parfois en attrape-nigaud, rivalisent avec eux.
Villeneuve a un talent fou et une simplicité qui l’honore. Incidemment, on est contents que son Un 32 août sur terre soit présenté à Cannes Classics, après avoir été lancé làbas en 1998. Ça nous fera un long métrage québécois sur la Croisette cette année.
Pour en revenir à son Blade Runner 2049, notre cinéaste, bien inspiré par la science-fiction dans Arrival, était sans doute un meilleur choix à la barre de cette suite que Ridley Scott. Le grand cinéaste britannique d’antan a perdu sa sève. Vu en avant-première, son Alien : Convenant, bientôt sur nos écrans, aux images léchées, manque d’âme et de structure digne de ce nom. Scott tient dans le vide une franchise à bout de souffle et prévoit même de l’alimenter encore.
C’est bien pour dire… La bande-annonce était plus vivante que le film. Faut pas s’y fier !