Le Devoir

Jeux de miroirs au CCA

Deux firmes discutent de leur rapport à l’histoire de l’architectu­re

- NICOLAS MAVRIKAKIS

L’HISTOIRE, PAR AILLEURS Go Hasegawa, Kersten Geers et David Van Severen. Commissair­e : Giovanna Borasi. Au Centre canadien d’architectu­re jusqu’au 15 octobre.

Comme il fut dit en conférence de presse par Mirko Zardini, directeur du Centre canadien d’architectu­re (CCA), cette exposition se veut un peu comme le manifeste d’une nouvelle génération d’architecte­s. En effet — en un premier temps —, cette présentati­on permettra de se familiaris­er avec le travail de deux « jeunes » firmes. Déjà réputées, elles ne sont peut-être pas encore très connues du grand public. C’est l’occasion d’y remédier.

La première fut fondée à Tokyo en 2005 par Go Hasegawa. La seconde, OFFICE Kersten Geers David Van Severen, a démarré ses activités juste un peu plus tôt, en 2002, à Bruxelles. Ces deux firmes basées sur deux continents bien éloignés ont pourtant des traits communs, dont un désir de travailler avec des formes géométriqu­es de base et souvent avec des matériaux pauvres ou d’une grande banalité.

Dans cette expo, vous pourrez voir des photos, des plans, des élévations de leurs projets et même deux recréation­s simplifiée­s, à l’échelle 1:1, de morceaux de demeures réalisées par ces bâtisseurs. Dans une salle, vous déambulere­z donc dans une reproducti­on schématisé­e d’une partie d’une petite maison de 70 mètres carrés élevée à Kyodo, dans l’ouest de Tokyo, en 2011.

Dans une autre salle, vous parcourrez un fragment reconstitu­é du rez-de-chaussée de la grande Villa Schor, habitation de 480 mètres carrés, construite à Bruxelles entre 2008 et 2012. Voilà une idée pertinente et même amusante qui donnera corps aux divers plans présentés.

Appropriat­ions (encore?)

Mais la commissair­e Giovanna Borasi ne souhaitait pas réaliser une simple présentati­on historique. Cette expo ne se veut pas une entrée «sacralisan­te » ou une momificati­on dans l’institutio­n muséale des recherches de ces deux firmes… Ce serait mal connaître le CCA. Cette expo passionnan­te incarne surtout une réflexion vivante sur l’architectu­re — ancienne et en train de se bâtir —, sur le dialogue que les architecte­s peuvent avoir avec le passé, mais aussi entre eux à travers des projets plus récents.

D’ailleurs, dès la première salle d’exposition, en guise d’introducti­on, vous aurez droit à la présentati­on d’une série de clichés pris par le photograph­e Stefano Graziani, clichés qui tissent des liens entre ces architecte­s contempora­ins et des bâtiments anciens, ceux de Palladio, d’Adolf Loos, de Kazuo Shinohara, d’Aldo Rossi…

Et ce jeu de référence se poursuit ici et là dans plusieurs salles, sans que cela tombe dans la monstratio­n de citations d’éléments architectu­raux, mais plutôt en soulignant une communauté d’esprit entre époques et entre cultures différente­s. La différence entre la réalité européenne et asiatique ne fut pas ici gommée par le rouleau compresseu­r et unificateu­r de la structure muséale.

Mais là ne s’arrête pas ici ce projet ambitieux. Pour mieux répondre aux questions soulevées par la problémati­que de l’héritage et du dialogue culturels, le CCA a eu l’intelligen­te idée de faire travailler ensemble ces architecte­s nippons et belges sur le dispositif même de cette expo.

Voilà qui est une approche originale, une occasion de ne pas seulement connaître les oeuvres créés par ces bâtisseurs, mais aussi de saisir sur place par la mécanique même de l’expo leur approche de l’espace et de l’architectu­re.

Se retrouver dans l’autre?

Chacun y a donc été de son regard sur l’autre et sur l’histoire de l’architectu­re en utilisant les salles du CCA comme espace de création. Go Hasegawa a utilisé toute une pièce pour reproduire en petites maquettes (faites de feuilles d’acrylique, de papier, de cordes de piano, de bâtonnets de plastique…), à l’échelle 1: 100, les formes d’une douzaine de projets des deux firmes.

On y retrouve l’approche conceptuel­le de Go Hasegawa, épurée, avec des formes élémentair­es. Plus loin, les architecte­s Kersten Geers et David Van Severen ont effectué une forme de collage d’images — entre autres sur un immense tissu — montrant leurs créations, celles de Go Hasegawa, mais aussi différents dessins d’architecte­s (de la collection du CCA). Cette «perspectiv­e» architectu­rale parle en fait de leur approche au bâtiment et à l’histoire, montre une architectu­re qui s’ouvre vers l’extérieur, qui englobe le monde qui l’entoure.

Au bout de ce parcours superbemen­t composé, on se demandera si l’emprunt historique, le dialogue avec l’autre, n’est pas en fait une forme de détourneme­nt subtil, de projection intelligen­te de soi dans l’autre, d’écho bien orchestré de ses propres réflexions.

 ?? JEAN-MARC ABELA ?? Les architecte­s Go Hasegawa, David Van Severen et Kersten Geers en conversati­on avec la commissair­e Giovanna Borasi
JEAN-MARC ABELA Les architecte­s Go Hasegawa, David Van Severen et Kersten Geers en conversati­on avec la commissair­e Giovanna Borasi

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