Entre vocation et abnégation
Primaire offre un portrait réaliste et attachant des aléas de l’enseignement
PRIMAIRE
★★★★
Comédie dramatique d’Hélène Angel. Avec Sara Forestier, Albert Cousi, Ghillas Bendjoudi, Guilaine Londez, Patrick d’Assumçao, Vincent Elbaz. France, 2016, 105 minutes.
Florence est une jeune enseignante de CM2, l’équivalent français des quatrième et cinquième années du primaire québécoises, peu ou prou. Passionnée et passionnante, Florence habite, avec son fils Denis dont elle est l’institutrice, l’un des appartements situés aux étages supérieurs de l’école. Malgré des conditions difficiles, le personnel du petit établissement travaille dans une atmosphère de bonhomie relative à laquelle contribue Florence. Arrive un jour dans sa classe Sacha, un petit négligé, abandonné. Au risque de compromettre tout le reste — sa famille, sa carrière —, Florence tentera de sauver l’enfant. Ainsi en va-t-il dans la comédie dramatique Primaire, qui mérite pleinement cette double dénomination.
En effet, on sourit beaucoup, puis l’on s’émeut autant, devant les péripéties personnelles et professionnelles de Florence, personnage incarnant à merveille l’expression «avoir la vocation».
Or, l’une des choses que le film d’Hélène Angel réussit le mieux, c’est de montrer comment, dans ce métier, il ne suffit pas d’avoir le feu sacré pour durer. Toutes ces petites vies fébriles alignées devant soi, si pleines d’un potentiel qu’on veut aider à réaliser et qu’on ne veut surtout, surtout pas gâcher: c’est là une énorme pression. À cela s’ajoute un surmenage décuplé par l’investissement émotionnel, humain…
Pas étonnant que les enseignants tombent comme des mouches au gré des burn-out et des dépressions. À cet égard, si l’intrigue du film est campée en France, elle pourrait tout aussi bien se dérouler ici, au Québec.
Sincérité absolue
En même temps, Primaire ne devient jamais un réquisitoire, cherchant davantage à inspirer qu’à accuser. Ce que le film accomplit en dépit d’une sous-intrigue forcée voyant Florence s’enticher d’un charmant livreur, accessoirement l’ancien beau-père de Sacha.
Au sujet des gamins, ceux-ci s’avèrent vraiment formidables de naturel, en particulier Ghillas Bendjoudi, qui joue Sacha, et Albert Cousi, qui lui incarne Denis, le fils de Florence. Deux des films précédents d’Hélène Angel, Peau d’homme coeur de bête et Rencontre avec le dragon, étaient racontés du point de vue d’enfants, et on sent l’aisance de la cinéaste dans cette classe multiethnique où tout, des moqueries aux propos candides en passant par la curiosité, sonne juste.
Dans le rôle de Florence, Sara Forestier (L’esquive, Le nom des gens) livre une autre performance forte, pleine d’ardeur de surface et de vulnérabilité qui couve. Se donnant corps et âme, la comédienne ne cherche jamais à atténuer les aspérités d’un personnage qui, fruit d’un scénario qui n’essaie pas de faire le portrait d’une sainte, présume parfois son dévouement supérieur à celui de ses collègues, pontifiant de-ci de-là.
Pourtant, dans ces moments où elle se trompe et refuse de l’admettre, on demeure en complète empathie avec Florence. Cette dimension solaire que projette la comédienne y est pour beaucoup. Sa sincérité évidente, absolue, aussi.
Lucide mais confiant
Le film convainc, à terme, parce qu’on y dénote la même bonne foi, le même sens de l’engagement, que chez son héroïne. Et il est une poignée de vrais instants de grâce, comme ce spectacle de fin d’année — passage obligé trop souvent cliché dès lors qu’il est question d’école au cinéma — qui donne lieu à une vision émouvante de l’enfance.
Une courte réplique donne à ce propos une bonne idée de la position du film. Lorsque, épuisée et en proie au doute, Florence demande au directeur de l’école s’il trouve normal d’être souvent le seul adulte parmi une kyrielle d’enfants, il répond:
«Non, ce n’est pas normal. C’est extraordinaire.» Sans fermer les yeux sur les difficultés inhérentes à une profession beaucoup moins considérée qu’elle le fut jadis, Primaire met cette vérité-là en relief pour mieux la célébrer.