Dans le tourbillon montréalais
Pour Paul-André Linteau, la ville est un carrefour étourdissant avec une fibre originelle
Au lieu de voir le militaire Maisonneuve et l’infirmière Jeanne Mance comme les seuls cofondateurs de Montréal en 1642, Paul-André Linteau insiste sur «le résultat d’une aventure collective, d’un projet missionnaire, mûri et élaboré en France». Alors que le célèbre duo concrétisa le projet ici mais laissa très peu d’écrits, l’un des concepteurs restés en Europe en laissa plusieurs où l’aventure devenait si moderne qu’elle plongeait dans l’inconscient.
Il s’agit de Jean-Jacques Olier, prêtre mystique parisien et fondateur des Sulpiciens, société d’ecclésiastiques qui sera, durant près de deux siècles, seigneur de l’île de Montréal. Linteau, spécialiste de l’évolution de la métropole et déjà auteur de livres sur le sujet, signale l’importance de ce maître spirituel dans son présent essai, Une histoire de Montréal, essentiellement, précise-t-il, «un nouveau texte» qui complète ses autres travaux.
Une curieuse amitié liait Olier à une cabaretière parisienne, Marie Rousseau, malgré sa profession, étrangement aussi mystique que lui. Cette voyante rêvait d’améliorer le Paris populaire des saltimbanques, des courtisanes et des duellistes, un peu comme le prêtre rêvait d’évangéliser les Amérindiens. Dans le style du Grand Siècle, les écrits intimes de celui-ci témoignent pour elle d’une délirante passion érotique, vite sublimée pour l’honneur de l’ecclésiastique mais qui intriguerait aujourd’hui les psychanalystes.
S’il n’exploite pas ces signes annonciateurs, l’historien, Montréalais de naissance, souligne avec justesse le rôle clé que la ville joue au début de la relation commerciale et anthropologique avec l’Amérique autochtone. Il rappelle que, «vers 1665, le commerce des fourrures est devenu la principale raison d’être de Montréal » pour longtemps et qu’il lui donne « une vocation continentale».
La porte d’entrée vers le continent
L’appel de l’Ouest, trait si profond de l’imaginaire nord-américain, se manifesta d’abord à Montréal et beaucoup plus tard sur la côte atlantique des futurs États-Unis. Linteau est conscient de cette originalité première de la ville qu’il décrit comme «le centre organisateur du commerce des fourrures et la porte d’entrée» vers les espaces immenses et encore inexplorés de l’intérieur du continent.
À la suite d’une alliance montréalaise en 1701 avec de nombreuses nations amérindiennes, la région des Grands Lacs deviendra ce que l’historien appelle «une véritable colonie intérieure de Montréal». Mais, après la Conquête britannique, la ville, peuplée dès lors en majorité d’immigrants de langue anglaise, se transforme, selon Linteau, en «un vaste champ de bataille politique ». L’insurrection des patriotes en 1837-1838 a beau se dérouler dans les régions environnantes, Montréal se trouve au coeur de la lutte des idées.
Avec ses multiples rebondissements, l’effervescence démographique, économique, sociopolitique et culturelle de la métropole est étonnante. Surtout britannique à une époque, elle redevient une ville majoritairement de langue française, grâce, à partir de 1870 environ, aux gens du reste du Québec qui s’y installent et, après l’adoption de la loi 101 en 1977, grâce en bonne partie à une population qui, venue de l’étranger, parle déjà français ou s’y francise.
Linteau réussit à nous faire sentir à quel point Montréal forme un tourbillon. Cependant, en conclusion, il affirme: « La langue française continue à définir la personnalité de la ville. » Après tout, n’est-ce pas dans cette langue que ses pionniers, alliés aux Amérindiens, ont marqué à jamais la toponymie du continent ?
UNE HISTOIRE DE MONTRÉAL ★★★
Paul-André Linteau Boréal Montréal, 2017, 360 pages