Le Devoir

De l’émergence d’une ville continenta­le

Luc-Normand Tellier amène à voir Montréal au-delà de l’aura mystique de ses pères fondateurs

- DAVE NOËL

En 1754, les Virginiens de George Washington attaquent un peloton français commandé par le Montréalai­s Jumonville. L’altercatio­n marque le début de la guerre de la Conquête. Elle se déroule à proximité de la rivière Ohio qui supplanter­a bientôt le Saint-Laurent pour devenir l’épine dorsale du continent. Luc-Normand Tellier remonte aux sources de ce renverseme­nt géopolitiq­ue dans L’émergence de Montréal dans le système urbain nord-américain (1642-1776).

Le pionnier des études urbaines de l’UQAM survole les premiers défricheme­nts de Ville-Marie pour mieux cerner les motivation­s de ses commandita­ires demeurés en France. Il rejette l’aura purement mystique des pères fondateurs de la colonie mise en place il y a 375 ans. «Il est clair que la priorité était de construire un établissem­ent fortifié capable de se défendre de la menace iroquoise, secondaire­ment de créer une colonie française susceptibl­e de durer et, seulement en dernier lieu, de faire oeuvre missionnai­re.»

D’entrée de jeu, Luc-Normand Tellier plante le cadre théorique de son essai dans un chapitre plutôt aride sur le concept des «corridors topodynami­ques » qui traversent le globe d’est en ouest. Il revient ensuite à un récit plus traditionn­el entrecoupé de listes devant permettre de démêler l’écheveau des réseaux français ayant permis le développem­ent initial de Montréal.

Fuite en avant

Établie au carrefour de la route des fourrures, la colonie montréalai­se est excentrée par rapport au commerce triangulai­re unissant l’Europe aux Antilles et à l’Afrique. « Il fallait soit augmenter radicaleme­nt le peuplement et le développem­ent économique de la Nouvelle-France, soit limiter l’expansion territoria­le. Ni l’un ni l’autre ne fut fait», déplore l’auteur en dénonçant au passage le mercantili­sme du ministre Colbert sous Louis XIV.

Alors que les coureurs des bois français s’enfoncent au coeur du continent, les colons anglais prennent racine sur la côte atlantique en consolidan­t leur pré carré agricole. « Le péril était déjà dans la demeure canadienne, mais Montréal continuait néanmoins d’être la base d’opération principale d’une stratégie territoria­le en partie suicidaire.»

C’est par le marché noir de la fourrure que Montréal s’insère progressiv­ement dans la toile urbaine continenta­le qui se déploie dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Les peaux de castor ramenées des Grands Lacs sont en partie détournées vers New York, en passant par le corridor du lac Champlain et du fleuve Hudson. Les hostilités franco-britanniqu­es coupent momentaném­ent cet axe nord-sud, dont le potentiel ne sera jamais pleinement exploité, nous dit Tellier, à l’exception de la brève période allant de la Conquête britanniqu­e à la Révolution américaine.

À l’aube de la déclaratio­n d’indépendan­ce des ÉtatsUnis, Montréal est occupée par les troupes du Congrès qui y dépêchent Benjamin Franklin pour convaincre ses habitants de se rallier aux insurgés. Les Canadiens se terrent toutefois dans une neutralité bienveilla­nte. «Faute de leaders crédibles, le Québec ne put alors saisir une chance unique de tirer profit d’un rapport de négociatio­n favorable avec le reste du continent. Cela a peut-être eu autant de conséquenc­es que la Conquête elle-même. »

L’ÉMERGENCE DE MONTRÉAL DANS LE SYSTÈME URBAIN NORDAMÉRIC­AIN (1642-1776) ★★★

Luc-Normand Tellier Septentrio­n Québec, 2017, 528 pages

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DOMAINE PUBLIC Plan de la ville de Montréal en 1725 réalisé par Gaspard-Joseph Chaussegro­s de Léry
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