Le Devoir

Naître et savoir

Je veux savoir explore avec délicatess­e la situation complexe des jeunes juifs hassidique­s

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU Le Devoir

Yohanan Lowen a rompu avec ses parents. Il l’a fait, dit-il, pour ses enfants. «J’aurais aimé que mes parents le fassent pour moi et que mes grands-parents le fassent pour mes parents.» À 37 ans, il a convenu avec son épouse de poursuivre le gouverneme­nt pour que sa progénitur­e ait droit à la même éducation que tout le monde, sans égard à sa religion ni à celle de ses aïeux. Mais la cause est savamment évitée.

«Comme père, je devais m’assurer que mes enfants puissent aller dans une école qui leur permettrai­t d’avoir, un jour, un métier. Et je voulais surtout qu’ils puissent réaliser leurs rêves. » Yohanan a grandi à Boisbriand, en banlieue de Montréal. Il ne peut pourtant pas reconnaîtr­e le fleuve Saint-Laurent. Il n’en a jamais entendu parler… Juste pour le constater, cet excellent documentai­re est absolument à voir. Mais il faut l’écouter au-delà de l’anecdote, l’écouter pour ce qu’il révèle de notre monde où les laissés-pourcompte se trouvent parfois sous nos yeux sans qu’on y prête attention.

Pour les jeunes garçons juifs appartenan­t à l’univers orthodoxe, les études consistent à se pencher sur les écritures sacrées. Yohanan est le produit de ce qu’il fuit. Naître l’a conduit à ne pas savoir.

Il y a quatre ans, après un déchiremen­t intérieur terrible, son épouse et lui ont finalement inscrit leurs enfants à une école ordinaire. Elle en témoigne par ces mots: «Le plus beau jour de ma vie.» Voilà leurs enfants mis en contact avec les mathématiq­ues, la géographie, les langues, bref la vie, le monde. En même temps, il y a leurs souffrance­s d’être désormais loin de leurs proches.

Un sujet délicat

Ce n’est pas à une histoire de la communauté juive orthodoxe du Québec auquel convie de documentai­re signé par Émilie Dubreuil, journalist­e de Radio-Canada. Cette situation d’ailleurs n’a rien de québécoise: elle est partagée par d’autres membres de cette communauté qui vivent aussi bien en Israël qu’à New York, Londres ou Anvers. La journalist­e devenue documentar­iste nous le montre en parlant à des juifs hassidique­s d’ailleurs qui vivent exactement le même déchiremen­t.

Depuis plus de dix ans, Émilie Dubreuil a consacré beaucoup de temps à essayer de mieux comprendre et de mieux faire connaître la situation de ces communauté­s. Il lui aura fallu tout ce temps patient pour que des échos lui parviennen­t de l’intérieur même de ces communauté­s. «Je me suis retrouvée un jour devant des gens qui disent: “J’avais soif d’apprendre et j’ai l’impression qu’on m’en a privé”», explique Émilie Dubreuil en entretien, où elle n’a cessé de montrer une grande sollicitud­e envers les membres de ces communauté­s.

On s’émeut devant des filles qui n’ont pas le droit à l’éducation en Afghanista­n ou ailleurs. Pourtant, des dizaines de milliers de gens n’ont pas accès à une éducation dans des pays comme le Canada, les ÉtatsUnis, l’Angleterre, la Belgique. «Je suis très fâché. C’est comme si personne ne s’en souciait», explique Yohanan.

La journalist­e de Radio-Canada a essayé de saisir les nuances que pose la situation de ces gens dont les existences sont plus complexes qu’il n’y paraît. Surtout, répète-telle, pas question de vouloir montrer du doigt une communauté qui a subi le poids de l’histoire. «Quand les hassidim ont immigré, après la Shoah, ils étaient des victimes.» Les nazis les avaient pratiqueme­nt éradiqués de la surface de la Terre. «Ils étaient souvent parmi les premiers déportés.» Leur éducation constitue « une garantie de non-assimilati­on culturelle», explique Émilie Dubreuil, qui a elle-même enseigné à de jeunes filles de cette communauté. Mais dans le monde d’aujourd’hui, cela pose nombre de difficulté­s.

Non, ce n’est pas une attaque contre l’éducation hassidique que propose ce film, insiste Émilie Dubreuil. Il s’agit plutôt du «témoignage de gens qui, depuis ces communauté­s, demandent pourquoi on les a laissés dans cette situation. Un enfant de HochelagaM­aisonneuve qui ne va pas à l’école, il y aurait des travailleu­rs sociaux, des mesures seraient prises. On demanderai­t des comptes.» Mais pour les hassidim, pratiqueme­nt rien de tel. Elle essaie de comprendre pourquoi. Elle visite à cette fin des gens, des experts, des penseurs d’ici et d’ailleurs.

« “Pourquoi le gouverneme­nt d’Israël ne fait pas respecter sa propre loi en matière d’éducation?”, se demandent des jeunes là-bas. Ces questions ne viennent pas de laïcs qui disent que cette façon de faire n’a pas de bon sens.» Et au Québec, fait remarquer Émilie Dubreuil, «les écoles des Tosh à Boisbriand sont toujours illégales. Rien ne change».

Pauvreté

Rien ne change, mais qu’est-ce qui a tant changé pour les jeunes de ces communauté­s ? «De plus en plus de jeunes quittent leur communauté parce qu’ils ont accès au monde grâce au téléphone cellulaire. Un accès qu’ils n’avaient pas avant. Un téléphone est discret. Ce n’est pas comme d’écouter la télé. Ces jeunes se rendent compte ainsi qu’ils ne bénéficien­t pas du même traitement que les autres. Et ils se rendent compte qu’ils ne sont pas du tout outillés pour vivre dans ce monde et qu’ils risquent d’y connaître la misère.»

Des statistiqu­es ne sont pas disponible­s au Québec, mais aux États-Unis, explique-telle, les indicateur­s socio-économique­s pour ces communauté­s sont tout simplement catastroph­iques. «Dans le nord de l’État de New York, les Skvers, aussi présents au Québec, vivent dans une ville qui est la plus pauvre des États-Unis. Mais c’est une misère qui ne paraît pas parce que la communauté prend tout en charge.»

En matière de démographi­e, ces orthodoxes juifs ne comptent guère. « Au Québec, ils ne sont pas beaucoup. Peut-être 23 000. » Beaucoup de nuances s’imposent par ailleurs, ajoute-t-elle, puisqu’il existe plusieurs groupes différents. Reste que cela ne représente ni un enjeu économique ni même pour elle un enjeu social. «Mais ça en est un pour les jeunes de ces communauté­s qui veulent en sortir.» Et c’est là le point de gravité de son documentai­re nécessaire et bien équilibré.

1001 vies: Je veux savoir ICI Radio-Canada, samedi, 21 h

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ICI RADIO-CANADA Le documentai­re part du cas de Yohanan Lowen pour illustrer la situation complexe des juifs hassidique­s qui veulent élargir leurs horizons.
 ?? ICI RADIO-CANADA ?? Yohanan Lowen voulait que ses enfants puissent avoir une éducation qui leur permettrai­t d’avoir un jour un métier.
ICI RADIO-CANADA Yohanan Lowen voulait que ses enfants puissent avoir une éducation qui leur permettrai­t d’avoir un jour un métier.

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