D’un registre à l’autre
Les deux expositions qui sont en vedette cet été au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) sont diamétralement opposées quant à leur facture; l’une portant sur des tableaux d’art religieux peints aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’autre sur un important photographe du XXe siècle. Malgré cette différence, les deux expositions ont en commun le fait de proposer des parcours artistiques singuliers qui sauront sûrement surprendre le visiteur.
Étonnez-moi ! est le titre de l’exposition consacrée au photographe américain Philippe Halsman. Cette exposition, une production du Musée de l’Élysée à Lausanne, est la première rétrospective de cet artiste, et le MNBAQ la reçoit en première nord-américaine. Si le nom de Philippe Halsman est peut-être méconnu du grand public, ses photos, par contre, ne le sont pas. «Ses photos sont connues parce que Halsman a beaucoup travaillé pour les magazines et a photographié, par conséquent, des vedettes, souligne André Gilbert, conservateur aux expositions au MNBAQ. À lui seul, il a réalisé 101 fois la couverture de la revue Life.»
Autodidacte, Philippe Halsman découvre la photographie à 15 ans. Dans les années 1930, il séjourne et travaille en France et fréquente l’avant-garde artistique, dont les surréalistes. «Ce séjour en France va teinter sa démarche artistique, qui repose sur l’humour, la fantaisie et le surréalisme, note M. Gilbert. Par exemple, il réalise de nombreux photomontages. » En 1940, il rentre aux États-Unis et s’établit à New York, où il fonde son studio.
Sens de la mise en scène
Philippe Halsman est un photographe qui possède un sens inné de la mise en scène. «Même lorsqu’il réalise pour des revues des portraits plus conventionnels, il travaille toujours de près avec ses modèles qu’il met dans le coup», explique M. Gilbert. Ce sens de la mise en scène est particulièrement évident dans les photos qu’il a réalisées avec Salvador Dali, avec lequel il a collaboré pendant trente ans. «Les deux hommes élaboraient ensemble le concept, ensuite Dali s’occupait de la partie performance, et Halsman de la photographie. Toute l’oeuvre photographique de Dali, où ce dernier se met en scène, notamment avec sa moustache, est signée Halsman.»
Cette approche non conventionnelle de la photographie amène Halsman à inventer une nouvelle démarche artistique, la «jumpology». «La jumpology consistait à photographier le sujet tandis que ce dernier était en train de sauter dans les airs. En procédant ainsi, Halsman pensait que le sujet laisserait tomber son masque et qu’ainsi, il pourrait mieux capter son âme», explique André Gilbert.
Outre les photos de Halsman, l’exposition comprend aussi plusieurs artefacts, comme des planches-contacts. «La démarche artistique de Halsman l’a amené à réaliser des photos compliquées sur le plan technique, et ce, bien avant l’invention de Photoshop, note M. Gilbert. On veut que le visiteur ait aussi un aperçu de la façon dont Halsman travaillait. »
L’apport des abbés Desjardins
La seconde exposition intitulée Le fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins donne à voir des tableaux d’art religieux peints aux XVIIe et XVIIIe siècles et d’abord destinés à orner les églises de France et à servir d’objets de dévotion. Outre la qualité picturale des oeuvres, ce sont le périple qu’elles ont connu et l’apport à l’art québécois et canadien qui étonnent.
Lors de la Révolution française, de nombreux tableaux d’art religieux sont retirés des églises par les révolutionnaires et placés dans des entrepôts. «À la fin de la Révolution, explique Daniel Drouin, conservateur de l’art ancien au MNBAQ, un lot de ces oeuvres a servi à la fondation du Louvre, et le reste a été mis en vente.»
Parallèlement, les frères Desjardins, Philippe-JeanLouis et Louis-Joseph, tous deux abbés, refusent de prêter allégeance à la Révolution française et choisissent l’exil au Canada français, où ils deviendront aumôniers. « Vers 1800, la population au Canada français explose et les paroisses se multiplient. Les églises ont grandement besoin d’oeuvres religieuses, mais malheureusement, il y a peu ou pas d’artistes peintres à cette époque dans la colonie britannique», explique M. Drouin.
En 1803, Philippe-Jean-Louis retourne vivre en France et, conscient de la situation qui prévaut dans les églises canadiennes-françaises, acquiert certains des tableaux religieux entreposés dans le but de les acheminer ensuite au Canada français. Après avoir transité par la Bretagne et l’Angleterre, les tableaux arrivent à New York, en 1817, où ils sont récupérés et ramenés en traîneau à Québec.
Naissance de l’art québécois et canadien
Une fois à Québec, les tableaux sont placés dans la chapelle des Ursulines. «Mais ces tableaux ont été désencadrés et les toiles roulées sur ellesmêmes, ce qui les a endommagés. Il faut donc les restaurer. La tâche est confiée à François Baillairgé, seul peintre à l’époque formé à Paris, raconte M. Drouin. Baillairgé va s’entourer de jeunes peintres autodidactes, comme Joseph Légaré et Antoine Plamondon. La restauration des tableaux des abbés Desjardins leur servira d’école et de formation.»
Mais les tableaux restaurés des abbés Desjardins, un peu moins de 200, ne suffisent pas à la demande. « Les curés vont alors commander des copies aux jeunes artistes qui ont restauré les tableaux, ce qu’ils vont accepter de faire. Et c’est ainsi que ces jeunes peintres autodidactes canadiens-français vont réaliser leurs premières oeuvres, note M. Drouin. On peut donc dire que les tableaux des abbés Desjardins ont donné naissance aux balbutiements de l’art québécois et canadien. » L’exposition présente à la fois les tableaux exécutés en France et restaurés à Québec et les copies réalisées par les peintres canadiens-français.