Vous avez dit révolution ?
Il y a 50 ans, alors que toute la planète convergeait à Montréal pour Expo 67, les Québécois s’ouvraient au monde. Cet été, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) replacera l’effervescence vécue ici durant la deuxième moitié des années 1960 dans l’esprit turbulent qui embrasait l’Occident à la même époque, avec une adaptation d’une exposition immersive du Victoria and Albert Museum de Londres.
Pour préparer l’adaptation montréalaise de l’exposition You Say You Want a Revolution, montée par le Victoria and Albert Museum, la commissaire Diane Charbonneau est allée la visiter dans l’établissement de Londres, où elle prenait l’affiche du 10 septembre 2016 au 26 février 2017. Dans l’une des sections, elle a eu un choc: des livres et des disques qu’elle possédait plus jeune, durant la période entre 1966 et 1970 couverte par l’exposition, se trouvaient côte à côte. «À cette époque, je n’avais même pas réfléchi au fait qu’il y avait une continuité entre ce que j’écoutais et ce que je lisais. Je l’ai fait sur place. Ç’a été une révélation», raconte-t-elle.
En ce moment, Mme Charbonneau s’attelle à intégrer dans cette exposition, à l’origine concentrée sur la Grande-Bretagne et les États-Unis, des éléments, objets, livres, oeuvres d’art et images d’archives pour illustrer ce qui se produisait ici, durant la même période. «On pense souvent à la Révolution tranquille, mais les cinq dernières années de la décennie 1960 ont été un peu plus brusques, plus effervescentes, ce qui était très similaire à ce qui se passait ailleurs», souligne la conservatrice des arts décoratifs modernes et contemporains au Musée des beaux-arts de
Montréal (MBAM). Ici comme dans les pays anglo-saxons, les baby-boomers devenaient majeurs et bousculaient les conventions. La société, qui avait commencé à s’échauffer dans la première moitié des années 1960, s’est mise à bouillonner et à se révolter, dans ce qui apparaît avec le recul comme l’apogée des trente glorieuses.
Le titre de l’exposition, qui sera présentée au MBAM du 17 juin au 9 octobre prochain, s’inspire des paroles de la chanson Revolution des Beatles. John Lennon l’avait composée dans une année 1968 particulièrement mouvementée, durant laquelle s’est notamment déroulé mai 1968 en France, le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie et l’occupation par des étudiants de l’Université Columbia, à New York. Comme les Québécois s’ouvraient sur le monde, ils s’abreuvaient de la musique rock et du militantisme secouant au même moment le reste de la planète.
Expérience immersive
Ce n’est pas la première fois que le MBAM consacre une exposition aux années 1960 entre ses murs. En 2009, Imagine. La ballade pour la paix de John et Yoko rappelait les 40 ans du bedin à l’hôtel Reine Elizabeth. En 2003, Village global: les années 1960, sur laquelle avait aussi travaillé Mme Charbonneau, explorait l’art contemporain de cette décennie. Cet été, il s’agira davantage
d’une plongée dans la culture populaire de cette période. Même si certaines toiles seront exposées, les projecteurs seront davantage braqués sur les affiches, moyens de communication par excellence de l’époque pour transmettre un message politique ou annoncer un spectacle de musique. Des habits de scène portée lors de Woodstock en 1969 ou des instruments de musiciens vedettes seront présentés au public, mais aussi des lettres de simples étudiants s’exprimant sur les manifestations se déroulant sur leur campus.
«C’est vrai qu’on parle encore beaucoup des années 1960, mais c’est une époque qui a marqué l’imaginaire de plusieurs. Cette fois-ci, elle sera illustrée d’une autre façon», souligne Mme Charbonneau. Elle précise que les deux commissaires de l’exposition originale, Victoria Broackes et Geoffrey Marsh, ont pris soin de ne pas tomber dans la nostalgie, même si l’exposition se veut une expérience immersive dans l’esprit du temps qui régnait à cette époque. Casque d’écoute vissé sur les oreilles, le visiteur entendra, selon ses déplacements, le bruit des hélicoptères survolant le Vietnam ou les mélodies des Doors, de Janis Joplin, des Who et des Rolling Stones.
Après une entrée en matière psychédélique, on promet la reconstitution d’une rue londonienne au moment où la métropole britannique vibrait au rythme des «swinging sixties» et de la Beatlemanie avec ses boutiques de vêtements, librairies, salons de beauté, galeries d’art et ateliers de photo. Même un disquaire permettra
«C’est vrai qu’on parle encore beaucoup des années 1960, mais c’est une époque qui a marqué l’imaginaire de plusieurs»
aux visiteurs d’admirer des pochettes de disques vinyles. L’équipe du MBAM promet également des projections au sol et au mur dans la section consacrée à la rue, ce théâtre de toutes les contestations, qu’il s’agisse des manifestations en opposition à la guerre du Vietnam ou de l’opération McGill français à Montréal.
L’exposition abordera aussi les grands happenings marquants de cette époque, comme les expositions universelles de Montréal en 1967 et d’Osaka en 1970, ainsi que les spectacles et festivals musicaux devenus mythiques, comme Woodstock en 1969 et l’Osstidcho en 1968. En filigrane, le musée rappellera la course à la conquête de l’espace, la guerre du Vietnam et le mouvement hippie de la côte ouest-américaine, qui ont coloré ces années et déteint sur la production culturelle. Il évoquera aussi la crise d’Octobre et la réaction des artistes québécois à cet événement.
«L’exposition aborde plusieurs sujets pour montrer une cohésion dans cette époque charnière », explique Mme Charbonneau. En parallèle, le MBAM organisera cet été la projection de films réalisés durant la même période, dont 2001 : A Space Odyssey, Easy Rider, Blow Up et Barbarella.
Mme Charbonneau juge importantes ces cinq années dans l’histoire, notamment en raison des questions sur la consommation, l’environnement, le militantisme et l’individualisme qui en ont émergé et qui n’ont toujours pas été résolues. Une belle occasion de les revisiter !