L’EAU SE RETIRE... ET RÉVÈLE L’ÉTENDUE DES DÉGÂTS
D’un combat l’autre.
Alors que la situation des inondations s’est améliorée cette fin de semaine au Québec, plusieurs sinistrés doivent maintenant entamer deux nouvelles batailles: celle du ménage à faire... et celle pour tenter de se faire indemniser par leur assureur.
C’est autour d’un feu de bois dans sa cour que Geneviève Delisle reçoit ses visiteurs. À ceux qui arrivent les pieds mouillés, elle offre même une paire de bas neufs. « J’ai demandé à ma mère d’en acheter une caisse et il m’en reste quelques paires », précise la propriétaire de L’Île-Bizard.
Située presque au bout de la rue Paquin, sa maison, rénovée au coût de 150 000$, est parmi les plus proches de la rivière des Prairies. Selon la maman de quatre enfants, la propriété n’a pas été submergée par la montée des eaux. C’est le refoulement des égouts qui a causé les dommages. Seul le sous-sol devra être refait.
Conseillée par un pompier retraité, elle a barricadé les fenêtres du sous-sol. Des amis, puis les militaires ont érigé les murets de sacs de sable, au moment où la rue Paquin devenait un cours d’eau. Et la maison a tenu le coup, bien que sens dessus dessous. Mais avec un feu réconfortant.
«Je n’ai eu que trois pouces d’eau, pas plus», dit Geneviève Delisle. Or, elle n’est pas au bout de ses peines. La compagnie d’assurances avec laquelle elle fait affaire refuse de l’indemniser parce que son contrat ne couvre pas les dommages dus au déversement de rivières.
Ses voisins sont pris avec des dégâts similaires, provoqués par le refoulement d’égouts. Il y a le cas de Sylvie Gagnon, propriétaire d’une maison d’hébergement pour personnes âgées, et d’autres voisines qui se sont vu refuser une indemnisation. «La rivière est venue par-dessus, donc ça ne compte plus», a témoigné l’une d’elles lors d’un point presse organisé devant une rue submergée sur un tiers de sa longueur.
Mina Tayarani vit avec son mari à quelques pas de Geneviève Delisle. Un peu plus loin de la rivière. «L’eau a monté jusqu’au plafond de notre salle familiale, a-t-elle raconté aux journalistes. Un expert des assurances était censé venir voir l’ampleur des dégâts. Il ne s’est pas présenté, il a dit qu’on n’était pas là alors qu’on y était.»
Plan national
Présent sur la rue Paquin, le député de Québec solidaire Amir Khadir appelle le pays, «de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve», à se doter d’un plan pour affronter de telles situations.
«Le Canada est le seul pays développé du G7 à ne pas avoir un programme complet d’assurances national pour des cas d’inondations, rappelle-t-il. Avec les changements climatiques, ces désastres viendront plus souvent. Nous avons besoin de réfléchir à un plan national et étendu.»
«Je m’attends, insiste-t-il, à ce que notre gouvernement agisse de manière responsable et rappelle [aux compagnies] leurs engagements. Que l’on arrête de compliquer la vie davantage aux sinistrés. C’est révoltant que les compagnies d’assurances usent de ruses pour éviter de répondre aux demandes.»
Le parlementaire solidaire estime que Québec pourrait insister auprès des autres gouvernements provinciaux et du fédéral pour penser à des structures veillant aux agissements du milieu des assurances.
«Mina et Sylvie ne peuvent aller seules en guerre contre ces énormes compagnies et leurs puissants avocats », clame Amir Khadir, qui appelle les résidents à se tourner pour le moment vers des organismes comme le Barreau du Québec et l’Union des consommateurs qui offrent conseils et soutien.
«Sécurité publique Canada continue de collaborer avec des intervenants clés pour étudier les différentes options d’une approche nationale visant à faciliter l’entrée continuelle de l’industrie des assurances sur le marché du risque d’inondation résidentiel », commente Scott Bardsley, attaché de presse du ministre fédéral Ralph Goodale.
Même là où la couverture d’assurance est offerte, fait noter M. Bardsley, le gouvernement provincial ou territorial offre du soutien financier. Geneviève Delisle le sait, mais on exige d’elle une lettre de sa compagnie d’assurances comme preuve de l’absence d’indemnisation.
«J’essaie d’obtenir cette lettre. Ils m’ont assigné un expert après sinistres, mais on ne retourne pas mes appels», rage-t-elle.
Le ministère québécois de la Sécurité publique n’a pas répondu aux appels du Devoir.
Des ponts
La situation au Québec s’est améliorée pendant la fin de semaine. Le temps de la reconstruction n’est cependant pas arrivé. Si la Ville de Montréal a levé l’état d’urgence, 600 personnes étaient toujours évacuées et une vingtaine de routes affectées, dimanche matin. Dans l’arrondissement L’Île-Bizard-Sainte-Geneviève, on dénombrait encore 178 résidences inondées.
Pas tellement loin de la rue Paquin, des fantassins et «des ingénieurs de combat» des Forces armées — des réser vistes de Québec, pour la plupart — font l’aller-retour en canot vers l’île Mercier. Ils transportent des vivres pour les résidents, étudient l’état du seul pont qui relie les deux îles. Submergé en partie, celui-ci a été ouvert dimanche, aux piétons seulement.
Rencontré sur le pont, Dany Raymond, locataire avec sa mère d’une maison de l’île Mercier, semblait soulagé: «C’est la première fois en deux semaines qu’on peut passer. C’était la chaloupe, sinon », dit le jeune homme, qui dit avoir vu l’eau lui monter jusqu’à la poitrine.
Il s’est battu pour garder sa maison au sec, l’une des rares sur les 46 que compte le petit territoire. Dany Raymond n’a cependant pas retrouvé sa chambre du sous-sol et ne sait pas encore quand ce sera possible.
À Laval, où l’état d’urgence est en vigueur jusqu’à mercredi, on se soulageait des petites victoires. L’armée terminait dimanche l’installation d’un pont dans l’île Verte pour remplacer celui détruit par la crue.