Un week-end dans la « vague coréenne »
Adulées, les icônes de la musique K-pop doivent projeter une image fantasmée
On ne pouvait pas manquer ça : deux concerts de groupes venus de Corée du Sud à moins de six heures de route de Montréal. Avec en prime un congrès rassemblant des centaines de fans de K-pop, cette « vague coréenne » de musique populaire qui déferle sur l’Asie, sur l’Europe et (un peu) sur l’Amérique du Nord.
On a donc pris la route pour Toronto, où avait lieu ce week-end la «K-pop Convention» annuelle de la Ville Reine. L’ado de la famille, Marianne, trépignait dans la voiture. Depuis près d’un an, elle suit à la trace les chansons de ses idoles coréennes, qui font de la pop efficace, toujours accompagnée de chorégraphies qu’elle connaît par coeur.
La nouvelle sensation pop coréenne, le groupe K.A.R.D., a été accueillie par les cris d’un millier d’adolescents et de jeunes adultes en arrivant sur la scène du théâtre John Bassett, au centre des congrès de Toronto. Cette salle feutrée de 1300 sièges n’avait sans doute pas entendu un
tel niveau de décibels (de la part des spectateurs) depuis longtemps.
Pendant une heure et demie, les deux gars et les deux filles de K.A.R.D. ont enflammé la salle. On a vu à l’oeuvre la recette magique de la K-pop: mélodies accrocheuses, déhanchements et clins d’oeil de circonstance. Marianne avait un sourire grand comme le ciel de Séoul.
Des yeux qui brillent, on en a vu toute la fin de semaine, entre autres durant les séances de danse, dans une salle du centre des congrès. Les fans (en vaste majorité des filles) faisaient tous les mêmes gestes en même temps, sans barrière de langue, d’allure ou de religion. Tout ce beau monde a appris les chorégraphies sur You Tube.
Une image fantasmée
La «vague» culturelle coréenne a été rendue possible par l’apparition de You Tube il y a un peu plus d’une décennie, explique Geneviève Mercure, candidate au doctorat à l’Université Laval. Cette ethnologue d’origine québécoise s’est établie en Corée du Sud pour étudier le phénomène de la pop coréenne.
Contrairement au Japon, qui a une politique stricte de droits d’auteur, la Corée du Sud a décidé de miser sur la diffusion gratuite à grande échelle de ses produits culturels. La vidéo la plus visionnée sur YouTube est un succès coréen: le tube Gangnam Style a été vu 2,8 milliards de fois.
«La K-pop donne une image jeune et dynamique de la Corée», dit Geneviève Mercure dans une entrevue menée par Skype. L’engouement mondial pour les groupes comme K.A.R.D., BTS, AOA-, Seventeen ou BtoB amène des millions de touristes en Corée du Sud, explique-t-elle. L’envers de la médaille, c’est que les icônes de la musique populaire subissent une pression pour projeter une image fantasmée.
Une grande proportion des vedettes de la Kpop a recours à la chirurgie esthétique, confirme Geneviève Mercure. «En Corée, si on n’est pas beau, ça ne fonctionnera pas», dit-elle. Le groupe Six Bomb a brisé le tabou dans son dernier clip: les jeunes filles chantent ouvertement qu’elles sont passées sous le bistouri pour « devenir plus belles ».
Discrimination
Plus préoccupant encore, les Coréennes qui font de la musique populaire « renoncent à leur liberté», explique l’ethnologue québécoise. Les contrats prévoient généralement qu’elles doivent rester célibataires ou garder le secret sur toute relation amoureuse. Et elles doivent quitter l’industrie dès qu’elles ont un enfant. Tout cela pour que les fans continuent à rêver de marier leur idole.
La pression est aussi morale, souligne Geneviève Mercure: tout manquement réel ou perçu à l’éthique sonne le glas de la carrière d’une étoile de la pop coréenne. Une simple histoire d’importation de médicament est ainsi venue à bout d’un des groupes les plus populaires, 2NE1 (prononcer twenty-one). La chanteuse Park Bom avait fait livrer en Corée un médicament acheté légalement aux ÉtatsUnis. L’opprobre populaire a eu raison de sa cote d’amour.
«La Corée est une société assez conformiste. Il ne faut pas trop sortir du moule», dit l’ethnologue. Les artistes gais sont victimes de discrimination et doivent garder le silence sur leur orientation sexuelle, explique-t-elle.
«Une énergie incroyable»
Au centre des congrès de Toronto, les fidèles de la K-pop connaissent parfois les petits et grands travers de cette industrie milliardaire. Tout dévoués à leur passion, ils semblent fermer les yeux sur le côté sombre de la pop coréenne.
«À première vue, il est facile de dire que la Kpop est un produit sans âme et sans saveur. Mais en fouillant un peu, on découvre un style musical qui a une identité et une énergie incroyables», dit Zach Shore, un Torontois de 19 ans. « Dans un groupe de K-pop, chaque membre a sa personnalité et joue un rôle important, sans prendre toute la place comme dans la musique américaine. Les talents se complètent », ajoute son amie Emma Sterritt.
Marianne, elle, attendait depuis longtemps cette fin de semaine au rythme de la pop coréenne, même si le congrès de Toronto a peu en commun avec les grands-messes de la K-pop qui attirent d’immenses foules en Europe et en Asie. Comme d’autres sur place, elle fredonne les paroles en coréen — au son —, comprend quelques mots et parle d’aller peut-être un jour étudier à Séoul.
Elle n’est pas la seule — ni la première: le consulat de Corée du Sud avait ainsi un stand au congrès de Toronto et remettait des documents sur un programme d’échange étudiant...
«En fouillant un peu, on découvre un style musical qui a une identité et une énergie incroyables Zach Shore, adepte de la K-pop