Une chirurgie jugée inutile
Des experts indiquent qu’il « n’y a pas de bénéfice à long terme » pour cette opération très commune
Une intervention chirurgicale au genou très commune, qui coûte des millions de dollars en fonds publics chaque année, serait inutile et ne devrait pas être proposée dans la majorité des cas. Pour des milliers de patients qui subissent une arthroscopie du genou, un traitement non chirurgical est aussi efficace à long terme, conclut un panel international d’experts dans des recommandations parues jeudi dernier dans le British Medical Journal.
«Il n’y a pas de bénéfice à long terme. Les patients et les médecins peuvent observer une amélioration après l’intervention, mais elle n’est pas meilleure qu’avec les traitements non chirurgicaux», explique en entrevue le Dr Reed Siemieniuk, un expert en méthodologie de la recherche en santé à l’Université de McMaster, à Toronto. Médecin spécialiste en médecine interne, il est l’auteur principal des recommandations. Plus encore, actuellement, « il n’y a pas d’excuses pour pratiquer ces interventions» dans la plupart des cas, ajoute-t-il.
Pour environ 90% des indications — déchirure du ménisque, douleur chronique, ostéoarthrite —, la procédure est inutile, expliquet-il. Elle serait toutefois utile chez les personnes souffrant d’une blessure sportive, d’un traumatisme lié à un accident ou d’une articulation bloquée.
Le panel international qui a publié ces recommandations était composé de médecins, dont des chirurgiens orthopédistes, de physiothérapeutes et de patients qui ont vécu avec des maladies dégénératives du genou.
Le groupe avait commandé deux revues systématiques de la littérature scientifique. Ces dernières ont aussi été publiées jeudi dans le British Medical Journal Open (BMJ Open). Elles se basent sur les résultats de 13 essais cliniques « randomisés» regroupant 1668 patients, ainsi que de 12 études sur les complications possibles, portant elles sur un total de plus de 1,8 million de patients.
«Le panel est certain que l’arthroscopie du genou ne permet pas, en moyenne, d’amélioration fonctionnelle ou de diminution de la douleur », écrivent-ils dans les recommandations. Chez moins de 15% des patients, la procédure entraîne une légère ou très légère amélioration après trois mois, mais cette dernière disparaît après un an.
Opération très commune
L’arthroscopie du genou est l’intervention chirurgicale orthopédique la plus commune dans les pays industrialisés et, pourtant, de nombreuses études scientifiques concluent qu’elle n’est pas plus efficace que des approches non chirurgicales, comme la prise de médicaments contre la douleur, la physiothérapie, la perte de poids ou le sport.
Québec a dépensé 41,8 millions de dollars en opérations chirurgicales du genou en 2015-2016, selon les plus récents documents du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), contre 39 millions l’année précédente. Le coût moyen pour une opération du genou en 2015-2016 était de 3388$. Ces statistiques incluent aussi des remplacements ou d’autres procédures, mais le MSSS n’a pas été en mesure d’indiquer, vendredi, quelle proportion concerne des arthroscopies.
Il y aurait eu 11 908 opérations du genou en 2016-2017, soit plus que de la hanche ou d’interventions chirurgicales cardiaques. Au 31 mars dernier, près de 600 patients étaient en attente depuis plus de six mois, la cible de Québec.
Quant à la pertinence des arthroscopies du genou, la responsable des communications du MSSS, Noémie Vanheuverzwijn, indique que le ministère « ne se prononce pas sur les choix d’interventions et les décisions cliniques des médecins. Cela relève de la pratique médicale ».
Frustrant pour les patients
Le Dr Siemieniuk convient que ces recommandations risquent de causer une certaine frustration aux patients. « C’est une douleur chronique, les patients désespèrent souvent de trouver une solution. La vérité, malheureusement, c’est qu’il n’y a pas de solution parfaite.»
«Devant ces données probantes, les médecins et les décideurs dans nos systèmes de santé n’auront pas d’autre choix que de prendre les décisions qui s’imposent», estime-til, alors qu’en Ontario, par exemple, plus de 27 000 de ces opérations sont pratiquées chaque année. Le tout sans laisser les patients tomber pour autant : il faut leur donner accès à d’autres solutions de gestion de la douleur ou à de la physiothérapie, par exemple.
Le Dr Robert Turcotte, qui préside l’Association d’orthopédie du Québec, affirme que ces études appuient des données connues depuis longtemps. « On sait que, lorsque les genoux sont usés, après 65 ans, ce n’est pas indiqué de faire une imagerie ou d’opérer », a-t-il affirmé lors d’une courte entrevue.