Le Devoir

l’essayiste Nicolas Zorn célèbre le filet social québécois

Sauvé par le filet social, l’essayiste appelle à plus de services publics pour moins d’inégalités

- FABIEN DEGLISE

Profiteure­tfierdel’être!Nicolas Zorn aurait pu n’être qu’un étudiant parmi tant d’autres, inscrit en science politique et en train de fignoler son doctorat sur un sujet, dit-il, l’économie dans la politique, qui n’est pas très digeste lors des soupers de famille. Mais la vie en a décidé autrement.

Avant d’en arriver là, il a connu les affres de la condition humaine: le divorce de ses parents, puis la mort de son père alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années. Il a laissé sa tristesse se muer en violence. Il a été un décrocheur multirécid­iviste, il a vécu en centre jeunesse, dans des familles d’accueil, a collection­né les intervenan­ts sociaux et autres psychoéduc­ateurs…

Aujourd’hui, devenu analyste de politiques publiques à l’Institut du Nouveau Monde, il clame haut et fort avoir largement « profité d’un système » qui a su le « rattraper » chaque fois qu’il s’est mis à sombrer. Un système fait de programmes sociaux, de services publics porteurs d’un idéal d’égalité et de justice sociale au fondement du fameux «modèle québécois» que Nicolas Zorn cherche aujourd’hui à défendre.

Car, au-delà des idées reçues et des discours surtout démagogiqu­es, selon lui, plus de filet social fait moins de pauvreté, moins d’inégalités et plus de richesse collective, écrit-il dans un essai adressé à ceux et celles qui sont plus tentés par le désengagem­ent de l’État et les compressio­ns budgétaire­s que par l’entraide. Ce modèle produit aussi plus d’égalité des chances, dit celui qui est en la preuve vivante.

«Si j’avais vu le jour ailleurs qu’au Québec, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui, lance au téléphone l’auteur de J’ai profité du système (Éditions Somme Toute).À une époque où la tentation d’affaiblir ce modèle québécois est de plus en plus présente dans le discours public tout comme dans les programmes politiques des grands partis, j’ai écrit ce livre pour mettre un visage humain sur ce modèle et sur ce qu’il est capable d’apporter à des trajectoir­es de vie frappées par l’adversité.»

Le modèle québécois, avec sa fiscalité élevée qui nourrit des programmes sociaux en santé, en éducation, en protection de la jeunesse… n’a pas toujours bonne presse et alimente même l’idée prégnante que le Québec vivrait, à cause de lui, au-dessus de ses moyens, souligne Nicolas Zorn. «Ce discours justifie de manière récurrente des coupes dans les services publics, dit-il. Coupes qui, les années suivantes, permettent au gouverneme­nt de dégager des surplus budgétaire­s et d’offrir des baisses d’impôt à temps pour les élections. C’est un non-sens. »

Couper court au dénigremen­t

Plus que de simples dépenses, les programmes sociaux sont surtout des investisse­ments, rappelle l’essayiste, qui croit que le temps est venu de changer les perception­s et de combattre les idées reçues en laissant voir dans le détail ce qu’apporte le modèle québécois. «Défendre les services publics et l’approche égalitaire de l’État est difficile à faire, dit-il. Cela repose sur l’affirmatio­n de grands principes abstraits, la justice sociale, l’égalité, la mutualisat­ion des ressources, et des statistiqu­es qui n’offrent pas d’images concrètes, pas de réalités tangibles à montrer à ceux et celles qui les financent. »

Il ajoute: «Contrairem­ent aux États-Unis ou à d’autres provinces canadienne­s, la conséquenc­e des inégalités extrêmes n’est plus visible au Québec et laisse croire donc que l’on n’a pas besoin de s’en préoccuper. Or, si ces inégalités ne sont pas apparentes, c’est parce que le système fonctionne bien. Si on s’attaque à ce système, on ne peut donc que les faire apparaître. »

Le modèle québécois serait donc tenu pour acquis, 70% de la population considéran­t en effet vivre dans une «société juste», selon une étude de l’Université Laval publiée en 2013, étude que cite Nicolas Zorn dans son livre pour rappeler que les politiques sociales du Québec «reposent sur une vision optimiste de l’être humain» et ont une «fonction assurantie­lle» que l’on tend à sous-estimer tant que, comme pour l’assurance auto ou habitation, l’adversité ne nous a pas amenés à nous en prévaloir.

Vivre ensemble

Cette mise en commun pour vivre ensemble doit d’ailleurs sans cesse être rappelée, dit-il, à des citoyens qui ne sont pas seuls dans cette société qui forme un tout et qui, en contribuan­t au bien-être des autres, entretienn­ent aussi leur propre bien-être. «Une société égalitaire crée moins d’écart entre les citoyens, moins de pauvreté, plus de mobilité sociale. Les programmes sociaux ne bénéficien­t pas juste à ceux qui en ont besoin, mais à tout le monde. Ils sont bons pour la croissance économique, pour la santé démocratiq­ue, pour la santé des gens, pour la productivi­té… »

En revenant sur sa vie de « profiteur», Nicolas Zorn a donc pris conscience qu’il était le fruit des politiques sociales du Québec qui, en le sauvant, en font aujourd’hui un nouveau contribute­ur. «Mon séjour dans les centres jeunesse et les foyers de groupe a coûté plus de 400 000$ à l’État, écrit-il, sans compter les services de psychologu­es et de travailleu­rs sociaux, les programmes pour décrocheur­s, les faibles coûts pour MES études postsecond­aires, et les prêts et bourses. »

Or, statistiqu­ement, le revenu auquel il va pouvoir aspirer une fois son programme d’études doctorales terminé devrait l’amener à verser 450 000 $ de plus en impôt, en taxes et en cotisation­s sociales durant sa vie active que s’il était resté le décrocheur que le destin était en train de faire lui. « S’ajoute à ça le fait que je vais possibleme­nt injecter près de 1,7 million de dollars de plus dans notre économie. »

De l’argent que l’essayiste rêve de voir utilisé collective­ment à l’avenir pour combattre les inégalités sociales et alimenter ce modèle québécois qui, selon lui, devrait cesser d’être une abstractio­n, et pas juste lorsqu’on en a besoin.

 ??  ??
 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Au-delà des idées reçues et des discours surtout démagogiqu­es, Nicolas Zorn estime que plus de filet social fait moins de pauvreté, moins d’inégalités et plus de richesse collective.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Au-delà des idées reçues et des discours surtout démagogiqu­es, Nicolas Zorn estime que plus de filet social fait moins de pauvreté, moins d’inégalités et plus de richesse collective.

Newspapers in French

Newspapers from Canada