Savante Montréal
Connaissez-vous Yoshua Benjio ? Comparaison n’est pas raison, bien sûr. Quand même, si ce professeur de l’Université de Montréal chantait, il serait peut-être l’équivalent de Leonard Cohen ou de Céline Dion pour Montréal. Et s’il était hockeyeur, il tiendrait un peu de Maurice Richard.
Pourquoi? Parce que cet informaticien, pionnier de l’intelligence artificielle, a fondé et dirige l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal, mais aussi le Journal of Machine Learning Research. Avec cinq collègues, il a lancé Element AI, dont l’ambition est de bâtir ici de grandes entreprises basées sur la recherche et le développement dans ce domaine de pointe.
Grâce à cet éminent savant né en France et formé à McGill, Montréal serait une des capitales mondiales dans le
domaine de l’intelligence artificielle (AI). Le premier ministre Philippe Couillard annonçait d’ailleurs lundi des investissements de 100 millions sur cinq ans pour soutenir la création d’une grappe de recherche qui pourrait faire de la vallée du Saint-Laurent la Silicon Valley du secteur, en attirant l’envie, les chercheurs et les capitaux du monde entier. La technoscience et l’industrie avancent souvent en cordée.
Du talent à revendre
Trois grands facteurs expliquent la décision d’une entreprise étrangère de s’implanter à Montréal, explique Christian Bernard, vice-président de Montréal international, qui existe précisément dans ce but, avec maintenant une réussite chiffrée à plus d’un milliard par année. Ces facteurs se rapportent à des accès: l’accès aux marchés internationaux (par exemple avec les accords de libre-échange et des installations portuaires); l’accès à des structures de coûts avantageuses (par exemple avec des mesures fiscales) ; et l’accès au talent, sous-entendu des créateurs, artistes ou scientifiques.
«Et du talent, on en a, dit l’économiste en chef de Montréal international. Montréal vient d’être désignée meilleure ville universitaire au monde par le classement QS Best Student Cities. Nous avons quatre universités, onze établissements d’enseignement supérieur et 150 000 étudiants anglophones et francophones.»
Cette large base savante explique en partie que la métropole se classe aussi dans les positions de tête mondiales dans les secteurs du jeu vidéo, des effets visuels ou de l’aérospatiale. Dans les sciences molles, on pourrait ajouter des centres de recherche (le CERIUM par exemple) ou des stars mondiales comme Charles Taylor ou Henry Minzberg. Montréal comme métropole savante rayonne beaucoup et passionnément.
Le professeur Yves Gingras, historien et sociologue des sciences, refuse pourtant de se laisser berner par les effets de mode, la starification, voire la pipolisation de la science, la pro- pagande sectorielle ou les seules retombées industrielles. «Tout le monde voit des algorithmes partout en ce moment. C’est la rhétorique actuelle à cause des voitures autonomes et de tout le reste », dit le directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST) de l’UQAM, qui est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. « Il y a 15 ans, tout le monde voulait des biotechs. Je laisse les universités se vanter. C’est correct, c’est leur job. Moi, je ne fais pas dans l’autopromotion institutionnelle ou sectorielle.»
Des indices
Alors, comment se calcule, selon lui, le rayonnement scientifique d’une ville, d’une province, d’un pays? Il propose d’y aller avec d’autres statistiques que celles concernant les retombées en investissements dans certains secteurs de pointe technoscientifiques. Les données de l’OST viennent de faire l’objet de trois publications lancées le 12 mai par Concertation Montréal (CM), qui soutient «les initiatives régionales innovantes et structurantes». Le professeur Gingras propose d’y puiser pour examiner le positionnement de la région de Montréal (au sens administratif, c’est-à-dire, en gros, l’île de