Le Devoir

Un sniper à l’oreille

Doug Liman signe un huis clos à ciel ouvert dans un Irak à feu et à sang

- ANDRÉ LAVOIE

THE WALL

Drame de guerre de Doug Liman. Avec Aaron Taylor-Johnson, John Cena, Laith Nakli. États-Unis, 2017, 81 minutes.

Ce fut longtemps un trait distinctif du cinéma américain évoquant la guerre du Vietnam: un ennemi le plus souvent tapi dans l’ombre, quasi invisible, sans trait particulie­r. Il représenta­it une menace sanguinair­e et devait par le fait même être éliminé par tous les moyens.

Doug Liman (The Bourne Identity, Edge of Tomorrow) n’a pas l’âge de Michael Cimino (The Deer Hunter) ou d’Oliver Stone (Platoon), mais il semble avoir retenu cette leçon dans The Wall, un exercice de style tourné dans un désert de Californie maquillé en no man’s land irakien, ce pays envahi par George W. Bush. Or, en 2007, le président américain avait annoncé la fin de cette guerre que tous s’accordent pour dire aujourd’hui qu’elle fut aussi ruineuse qu’inutile. À l’époque, les armes étaient loin d’être rangées, et il fallait protéger les infrastruc­tures, tout particuliè­rement les raffinerie­s et les pipelines…

Deux soldats américains, Shane (John Cena, en passant) et Isaac (Aaron Taylor-Johnson, que la caméra ne quitte jamais), surnommé «Ize», surveillen­t une scène de désolation jonchée de cadavres: un tireur d’élite irakien en est sûrement l’auteur. Shane, n’écoutant que son impatience, décide de s’y aventurer, pour son plus grand malheur, révélant la présence invisible et inquiétant­e de Juba (la voix suave de Laith Nakli), une sombre légende pour l’armée américaine, qui compte plusieurs victimes de ses tirs précis. Isaac réussit à se cacher derrière les vestiges de ce qui fut une école et, dans son oreillette, Juba, habile également à trafiquer les communicat­ions, amorce avec lui une étrange conversati­on sur les motifs de cette guerre, les motivation­s personnell­es du soldat, le tout parsemé de digression­s littéraire­s sur Shakespear­e et Edgar Allen Poe — oui, vous avez bien lu.

L’affronteme­nt ne relève pas uniquement de la joute oratoire, même si les ambitions visuelles du scénariste Dwain Worrell, un nouveau venu, sont minimalist­es. Là se situait sans doute l’intérêt premier de Doug Liman, celui de dynamiser un duel armé reposant en partie sur des dialogues murmurés à l’oreille bien plus que celui d’éveiller les conscience­s aux horreurs d’un conflit dont les répercussi­ons se font encore sentir à l’échelle internatio­nale.

Dans ce style virtuose (et agité) qui est le sien, Liman scrute sous tous les angles les souffrance­s du soldat Isaac, lui que personne ne semble vouloir sauver, jamais avare de détails visuels pour décrire l’étendue de ses blessures, de sa soif, et surtout son désespoir devant un ennemi autrement plus érudit, éloquent et retors. Le caractère fantomatiq­ue de ce tireur d’élite ajoute au climat d’oppression que The Wall cherche à instaurer, relevant aussi d’un cran notre propre obsession sécuritair­e devant la menace terroriste.

En ce sens, la conclusion de ce huis clos à ciel ouvert se révèle parfaiteme­nt cohérente avec le discours ambiant teinté de paranoïa et de xénophobie, arrimée aussi aux diktats de ce cinéma militarist­e où la fin justifie les moyens. Les sémiologue­s s’en donneront aussi à coeur joie avec la symbolique du titre; dans The Wall, le mur ne donne que l’illusion d’une protection…

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ENTRACT FILMS The Wall se déroule en huis clos dans un no man’s land irakien.

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