Le Devoir

Les freins potentiels aux véhicules autonomes. Le projet de Terrebonne face à l’hiver et aux intempérie­s.

À Terrebonne, on envisage d’implanter un projet pilote, mais l’hiver et la réglementa­tion restent des obstacles

- ANNABELLE CAILLOU

Les véhicules autonomes pourraient faire leur apparition cet été au Québec, alors que la Ville de Terrebonne envisage d’implanter un premier projet pilote. Si cette nouvelle technologi­e fait ses preuves dans plusieurs villes du monde, notamment chez nos voisins ontariens, l’hiver et la réglementa­tion actuelle ont freiné son expansion au Québec.

La Ville de Terrebonne a annoncé mardi dernier vouloir lancer un projet pilote de minibus autonome dans l’écoquartie­r Urbanova. Pendant un an, la navette électrique fonctionna­nt sans conducteur — développée par les sociétés de transport Keolis et Navya — pourrait transporte­r jusqu’à 15 personnes sur un tracé de 1km. Le projet appuyé par le ministère des Transports n’attend plus que l’autorisati­on de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Aux yeux du maire de la municipali­té, Stéphane Berthe, ce premier essai québécois serait « essentiel » pour vérifier l’efficacité des véhicules autonomes dans la neige et le froid. «Il faut tester la navette à travers les saisons, l’hiver surtout. On nous dit qu’elle va faire le travail, mais entre le dire et le faire, il y a une différence», lance-t-il.

En pleine tempête, la visibilité est réduite et la neige cache les lignes sur la chaussée souvent glissante. Cela peut compromett­re le bon fonctionne­ment des capteurs et radars de la voiture autonome, selon Catherine Chardon, directrice de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) Dev en Amérique du Nord, qui expériment­e ces véhicules «intelligen­ts».

Elle considère cette technologi­e encore en «phase exploratoi­re ». «Les voitures autonomes vont devoir s’adapter aux conditions météorolog­iques, soulignet-elle. Quand il fait mauvais temps, aujourd’hui, les capteurs ne fonctionne­nt pas. Je ne dis pas que ce sera toujours impossible, mais en ce moment, c’est le cas.»

Elle revient sur le premier accident mortel à bord d’une Tesla en pilotage automatiqu­e, survenu en mai 2016 en Floride. « C’est simplement le reflet du soleil dans un panneau qui a ébloui les capteurs et empêché de voir la manoeuvre du camion qui arrivait. »

Lancer un projet pilote avec un véhicule à faible vitesse et dans un circuit fermé à Terrebonne est le meilleur moyen de tester l’endurance à l’hiver, croit de son côté la vice-présidente de Keolis Canada, Marie-Hélène Cloutier. La navette Navya, en circulatio­n dans 35 endroits dans le

monde, roule à 15km/h sur courte distance, comme des campus, des usines, des promenades. «On est loin des voitures qui roulent entre 60 et 100 sur les routes. Ça va permettre de tester et de l’améliorer au besoin. » « Une navette a roulé l’hiver dernier sur un campus de l’Université du Michigan et tout s’est bien déroulé », ajoute-t-elle.

Depuis un an, Ford, General Motors et Google mettent aussi leurs voitures à l’épreuve de la neige et du froid au Michigan, où les conditions hivernales se rapprochen­t de celles du Québec.

Le professeur à Polytechni­que Montréal Nicolas Saunier se montre confiant. S’il reconnaît que la météo reste un défi, il pense que la technologi­e peut surmonter le problème. «On développe d’autres façons de se localiser, explique-t-il. Google travaille sur des cartes qui scannent l’environnem­ent en 3D avec une localisati­on GPS.»

D’après lui, le principal attrait de la voiture autonome est de pouvoir réduire de 95 % le nombre d’accidents sur la route. Il ne faut pas s’attendre à la perfection. «À quel point le conducteur humain est-il meilleur qu’un robot dans la neige ? se demande-t-il. Lors d’une tempête, on recommande de ne pas prendre son véhicule, pourquoi ce serait différent avec la voiture autonome?»

Changer la loi

Pour Pierre Ducharme, cofondateu­r de l’Institut de l’évolution du transport, il ne faut pas uniquement montrer du doigt la technologi­e et les conditions météo. Si la voiture autonome ne sillonne pas encore les routes du Québec, alors que des villes voisines l’ont déjà accueillie à bras ouverts, c’est surtout à cause de la réglementa­tion, croit-il.

«La SAAQ et le ministère des Transports se disent prêts, mais présenteme­nt, les politicien­s n’ont pas eu la sagesse ou le courage de mettre en applicatio­n un projet de réglementa­tion comme en Ontario pour autoriser ce type de véhicule », se désole-t-il.

Au regard de la loi en vigueur dans la province, les véhicules autonomes n’ont en effet pas le droit de circuler sur le territoire, puisque la présence d’un conducteur est obligatoir­e, du moins sur les routes provincial­es et municipale­s. Le projet pilote de Terrebonne serait légal, car il fonctionne­rait dans un circuit fermé et sur une courte distance.

Le ministère des Transports dit surveiller le dossier de près et se montre ouvert à l’idée de changer la réglementa­tion. « La voiture autonome va prendre de l’ampleur et on se doit de traiter cet enjeu le plus rapidement possible, mais il faut se poser les bonnes questions sur la sécurité des utilisateu­rs, c’est l’enjeu principal au MTQ », soutient Mathieu Gaudreault, attaché de presse du ministre Lessard.

Il assure que des modificati­ons prenant en compte cette nouvelle réalité seront intégrées dans la refonte du Code de la sécurité routière, promise par Québec depuis 2014, mais reportée sans cesse. Le dépôt d’un projet de loi cet automne prochain reste « très possible», précise-t-il.

Si les experts estiment que ces véhicules intelligen­ts feront leur entrée sur le marché dans 5 ou 10 ans, il est temps que le gouverneme­nt agisse. «Si on se met la tête dans le sable comme on le fait présenteme­nt, on ne sera pas prêts à assumer les conséquenc­es de cette révolution», s’inquiète M. Ducharme.

À qui la faute?

Sans une réglementa­tion claire, les questions entourant l’assurance des utilisateu­rs de véhicules autonomes demeurent sans réponse. S’il n’y a pas de conducteur, à qui revient la faute en cas d’accrochage? Pour le cas du minibus Navya, la SAAQ attend justement d’avoir le projet entre les mains pour commenter.

Quant aux voitures autonomes pouvant circuler sur les routes traditionn­elles, la SAAQ soutient qu’une modificati­on du Code de la sécurité routière et de la Loi sur l’assurance automobile sera nécessaire avant que l’on se penche sur le sujet.

Une opinion que partage le Bureau des assurances du Canada. «Les lois doivent être modifiées avant de voir comment assurer un accident qui implique un véhicule autonome », explique la porte-parole, Caroline Phémius. Elle précise qu’à l’heure actuelle, dans le cas des pilotages semi-automatiqu­es, la personne derrière le volant, même si elle ne conduit pas, reste responsabl­e.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La semaine dernière, la Ville de Terrebonne a annoncé un éventuel projet pilote de véhicule «sans chauffeur», qui pourrait desservir l’écoquartie­r Urbanova.

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