Yorgos Lanthimos moins inspiré que dans son Lobster. Le cinéaste grec offre un univers à la Kubrick.
Le Grec Yorgos Lanthimos, qui avait séduit la planète cinéma avec Canine en 2009, fut plus que remarqué il y a deux ans avec sa dystopie The Lobster, d’une originalité brillante, couronnée du prix du jury à Cannes. Le voici de retour avec son second long métrage en anglais, The Killing of a Sacred Deer (Mise à mort du cerf sacré), toujours dans la course à la Palme d’or.
Les gros canons entrent en scène (Lanthimos en fait partie), Haneke en tête, mais leurs films divisent aussi. Ils enfourchent par ailleurs les mêmes thèmes. Le procès de la bourgeoisie n’en finit plus de se jouer à Cannes avec coups et blessures. La post-humanité dans tous ses états.
Place au même torpillage des classes supérieures par «les gens d’en bas» qui se vengent. Avec Nicole Kidman, reine de la Croisette cette année et Colin Farrell, acteur fétiche de Lanthimos, on pénètre un univers à la Kubrick.
Opération à coeur ouvert en ouverture, scène de fusillade en clôture et, au milieu, cette histoire du chirurgien (Farrell) qui prend en charge un adolescent. Ce dernier est le fils d’un homme décédé sur sa table, après que le médecin l’eut opéré en étant ivre. Le garçon qui s’immisce dans la vie familiale a des pouvoirs magiques. Il peut paralyser les enfants de la famille, voire les tuer. L’un d’eux doit mourir. Aux parents de faire leur choix après avoir torturé l’intrus.
Thriller absurde
Fable féroce, comme il se doit, inspirée du mythe d’Iphigénie qui dut sacrifier un de ses enfants, le loup entre ici dans la bergerie, là où le berger n’est pas si blanc qu’on pense.
Moins atypique que son Lobster, plus proche de Canine en fait, en moins fin mais mieux maîtrisé: gros budget oblige. Dans cette famille où rien ne va plus survient l’épouvante, l’irruption du paranormal.
La malédiction transforme l’action en thriller absurde, cynique et pervers sur une mise en scène de brio, avec cadrages exceptionnels, mais qui tourne un peu à vide. Kidman en mère attaquée est glaciale, Farrell en père coupable joue la note désemparée. Dans ce foyer sous haute tension, toutes les sensations se neutralisent.
Si la mort plane, les émotions se taisent. La distanciation du jeu d’acteurs devant le drame en cours laisse songeur. Fallait-il vraiment à ce point niveler le moindre affect? La sexualité se vit sans amour, la torture et la peu, sans état d’âme, ou presque. N’est pas Haneke qui veut. Le drame familial surfe sans s’impliquer sur une musique de Fauré.
À la perplexité de la presse, Lanthimos collait la sienne: « J’ignore moi-même les réponses à certaines des questions que vous posez. J’essaie d’arrêter de réfléchir, et alors le film devient amusant», disait-il en conférence de presse.
La fin de l’humanité patine sur un brio de surface. On admire le brillant de la facture, sans trouver que Lanthimos fait souffler un vent nouveau sur un thème ailleurs mieux arpenté.
En croisant Nils Schneider
On admire le brillant de la facture, sans trouver que Lanthimos fait souffler un vent nouveau sur un thème ailleurs mieux arpenté
J’ai rencontré dans la rue d’Antibes Nils Schneider, l’acteur lancé par J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, qui fait carrière à Paris. De fort bonne humeur. La France déroule le tapis rouge à celui qui a reçu en février le César du meilleur espoir pour son rôle dans Le diamant noir, d’Arthur Harari. Alors, tout va bien. «Jeviensau Québec voir ma famille et mes amis, mais ma carrière va tellement bien à Paris.» Il serait fou de ne pas en profiter.
Nils Schneider est à Cannes comme membre du jury à la Semaine de la critique et s’avoue détendu pour son quatrième passage ici: «Ce n’est vraiment pas comme accompagner un film. J’ai du temps pour moi, sans la pression. J’ai vu de bons films. Je suis détendu.»
L’acteur blond me parle du tournage prochain d’Un amour impossible, de Catherine Corsini, d’après le roman de Catherine Angot. Il a d’autres fers au feu. Cannes lui va bien. Il a l’air de flotter…
Clin d’oeil cannois
Le jour d’après, du Coréen Hong Sang-soo, est assez mineur dans sa filmographie (quatre fois en compétition ici). Salué par certains comme une perle, ce film en noir et blanc, très rhomérien, réalisé avec les moyens du bord, s’amuse des codes du vaudeville. Un homme, sa femme, sa maîtresse et la jeune employée, vite engagée, vite renvoyée; tous les cas de figure viennent brouiller les pistes. C’est léger, parfois mal joué, avec des jeux de caméra répétitifs et une évidente liberté, tourné l’an dernier durant le Festival. Un clin d’oeil à Cannes. Mais est-ce assez ?