Netflix et les règles du jeu
Les contraintes imposées à la plupart des acteurs du secteur de la production et de la diffusion audiovisuelle ne sont pas appliquées à Netflix. Ces jours-ci, on apprend que le Festival de Cannes impose que les films soient présentés en salle pour être admissibles à la compétition. Mais comme la réglementation française impose qu’un film, une fois sorti en salle, ne puisse être proposé en ligne, la question se pose de savoir si Netflix, qui diffuse exclusivement en ligne, devrait bénéficier de l’autorisation de présenter ses films au festival.
Ces controverses témoignent du défi d’assurer — ici comme ailleurs — des règles équitables pour l’ensemble des acteurs du secteur de la production et de la diffusion.
Deux poids, deux mesures
Au Canada, il est depuis longtemps établi que ceux qui tirent des revenus de la diffusion d’émissions de radio ou de télévision doivent participer financièrement à la production d’oeuvres canadiennes. Mais les politiques du CRTC traitent les acteurs traditionnels et des acteurs comme Netflix selon des régimes différents. Netflix et les autres services similaires sont pratiquement dispensés de toute exigence réglementaire, notamment celle de contribuer au financement des productions canadiennes.
L’avènement de services fondés sur des modèles d’affaires «disruptifs» comme Netflix, bouleverse les équilibres de la réglementation de l’audiovisuel. Les nouveaux modèles d’affaires doivent en principe respecter les règles. Mais ces nouvelles façons de faire se réclament d’«offres» de service qui ne relèveraient pas des mêmes logiques.
En maintenant comme on le fait au Canada des politiques qui réservent un traitement privilégié à des acteurs comme Netflix, on accroît le risque que les autres, ceux qui demeurent soumis à des conditions plus onéreuses se mettent à réclamer qu’on assouplisse les règles auxquelles ils sont soumis. Alors, tout l’édifice des politiques destinées à assurer la disponibilité d’oeuvres canadiennes s’écroule.
Il importe donc de repenser les règles, en fonction de l’objectif de garantir que les dollars dépensés par les Canadiens pour leur consommation de films et autres produits télévisuels soient en partie réinvestis dans la production canadienne.
À ce jour, au lieu d’accompagner les transformations du paysage audiovisuel engendrées par Internet, le CRTC a persisté à exempter les services de radiodiffusion sur Internet en prétextant que ceux-ci n’avaient pas d’impact sur la réalisation des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion! Ce serait un phénomène si marginal que cela n’aurait rien à voir avec les objectifs inscrits dans la Loi sur la radiodiffusion. La fiction n’est pas seulement sur les écrans !
Plusieurs ont pourtant attiré l’attention sur les effets néfastes du transfert des ressources que nous consacrons à nous informer et à nous divertir vers les services de télévision sur Internet qui profitent d’un traitement préférentiel. On ferme les yeux sur le déplacement des ressources vers des plateformes qui ramassent les dollars tout en échappant aux obligations pourtant imposées à tous les autres. Une telle politique de deux poids deux mesures menace la viabilité des entreprises canadiennes engagées dans la création de contenus.
Politique culturelle décrédibilisée
Lorsqu’on laisse s’installer des services non réglementés en leur réservant un traitement préférentiel, il peut s’avérer difficile de revenir en arrière et imposer les mêmes conditions à tous. La réglementation doit accompagner l’innovation, pas la combler de privilèges et la laisser s’installer pour ensuite essayer, à rebours, de sauver la viabilité de la production canadienne !
Si le CRTC avait effectivement joué le rôle que la loi lui attribue, il aurait suivi les évolutions induites par la généralisation d’Internet. Il se serait donné les moyens d’identifier les types de changements qui doivent être apportés aux cadres réglementaires afin de refléter les mutations majeures que cela engendre pour la télévision. Il aurait fait évoluer la réglementation afin qu’elle accueille les nouvelles façons de rendre disponibles des émissions tout en respectant les exigences fondamentales destinées à assurer la viabilité de la production canadienne.
En dépit des indices concordants révélant un basculement en faveur des services de distribution de télévision sur Internet, le CRTC a justifié le traitement préférentiel qu’il leur accorde en répétant que ceux-ci n’avaient pas d’impacts sur la réalisation des objectifs de la politique de radiodif fusion !
La pratique du deux poids deux mesures en matière d’encadrement de l’offre audiovisuelle mine la crédibilité des politiques culturelles canadiennes. Il faudra bien qu’un jour le gouvernement indique s’il croit toujours aux objectifs d’assurer la viabilité de la production audiovisuelle qui, faut-il le rappeler, sont encore inscrits dans la législation canadienne.