La gifle à l’Iran
En désignant l’Iran chiite comme l’ennemi principal — à égalité avec les terroristes djihadistes qui terrorisent et décapitent! —, le président Donald Trump a fait, dimanche à Riyad, le bonheur des cheikhs et autres dictateurs du monde arabe sunnite.
Des leaders qui, venus du Maghreb et du golfe Persique, en passant par l’Égypte, s’étaient déplacés au pays du Prophète pour entendre «l’ami américain» leur dire ce qu’ils voulaient entendre… et qui pour cela l’ont chaleureusement applaudi.
Aller mettre dans un même sac le groupe État islamique et un pays, l’Iran, qui vient de tenir des élections (relativement) libres, c’était flatter les oreilles de tous ces leaders autoritaires qui avaient eu chaud lors du «printemps arabe» (avorté) de 2011 et qui n’ont généralement rien à faire d’élections, même semi-libres.
Jeter ainsi d’un bloc l’Iran dans le camp de «l’empire du Mal», c’est tourner le dos à une évolution esquissée par le gouvernement précédent à Washington, qui visait justement à rééquilibrer la relation américano-irano-saoudienne.
Et surtout, choisir son camp d’une façon aussi peu subtile, dans l’affrontement entre sunnites majoritaires et chiites minoritaires, c’est se fermer des avenues stratégiques ; c’est gifler la jeunesse iranienne, la plus sophistiquée du monde musulman. Une potentielle alliée, avide d’ouverture sur le monde et de contacts avec l’Occident, qui acclamait à Téhéran — au moment même où se tenait le sommet de la «restauration» à Riyad — Hassan Rohani, un président modéré tout juste réélu pour un second mandat.
Le contraste est tout à fait saisissant, si on se souvient qu’en Irak, jusqu’à ce jour, et notamment dans la bataille en cours à Mossoul, Américains et Iraniens épaulent l’armée d’Irak dans sa lutte contre l’organisation État islamique. Les contradictions et hypocrisies (tout à fait réelles) de cette curieuse alliance de terrain ne changent rien à sa réalité: dans les faits, Washington et Téhéran soutiennent ensemble le régime chiite de Bagdad !
On ne tentera certes pas d’expliquer de tels «détails» au fruste Donald Trump. Mais on se serait attendu à mieux de la part d’un Rex Tillerson (secrétaire d’État) ou d’un James Mattis (secrétaire à la Défense).
Ce faisant, le gouvernement Trump se démarque nettement de la politique de Barack Obama… ce qui est sans doute une qualité en soi pour l’actuel occupant de la Maison-Blanche!
Avec l’entente multilatérale sur le nucléaire iranien à l’été 2015, l’ancien président avait voulu réinsérer l’Iran dans le dialogue international. Il espérait aider les modérés comme Hassan Rohani et le (relativement) philo-occidental Mohammad Javad Zarif, chef de la diplomatie, à tenir à distance les radicaux religieux et militaires, dont le souffle glacial menace toujours les semi-libertés en Iran et la paix internationale.
Javad Zarif qui a judicieusement souligné, hier dans un tweet déçu, que Washington, en fait,
«veut pomper l’argent de l’Arabie saoudite» en maintenant la relation avec Riyad dans le vieux sillon «pétrole contre armements», le préféré des analystes simplistes, alors que ce sont là des paramètres que le XXIe siècle rendra tôt ou tard obsolètes.
C’est d’ailleurs ce qu’avait tenté Obama, avec son processus, graduel et prudent, de distanciation par rapport à l’Arabie saoudite. Ce fut le premier président américain à évoquer publiquement les responsabilités idéologiques et financières de Riyad dans la propagation du terrorisme djihadiste. Et puis, dans son fameux discours du Caire en 2009, n’avait-il pas parlé de l’aspiration universelle à la démocratie… y compris dans cette région du monde?
Aujourd’hui, grâce à Donald Trump… tout cela est bien oublié!
Trump en Israël, va-t-on également assister à un «rapprochement» avec Washington? (étant bien entendu qu’il n’y a jamais eu de vraie «rupture» entre Israël et les États-Unis, malgré les relations exécrables entre MM. Obama et Nétanyahou).
Possible, mais… dans ce cas-là, c’est peut-être davantage la continuité qui l’emportera. À savoir: la reprise de la pantomime du «processus de paix israélo-palestinien».
M. Trump, on le sait, se rêve en faiseur de miracles, avec de fabuleuses célébrations à sa gloire. Il va maintenant mettre toute la pression sur Jérusalem pour relancer ce fameux «processus» aujourd’hui discrédité. Et peut-être, à l’usage, les Israéliens découvriront-ils un Trump moins inconditionnel qu’ils ne le pensaient…
François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com