Le Devoir

La gifle à l’Iran

- FRANÇOIS BROUSSEAU

En désignant l’Iran chiite comme l’ennemi principal — à égalité avec les terroriste­s djihadiste­s qui terrorisen­t et décapitent! —, le président Donald Trump a fait, dimanche à Riyad, le bonheur des cheikhs et autres dictateurs du monde arabe sunnite.

Des leaders qui, venus du Maghreb et du golfe Persique, en passant par l’Égypte, s’étaient déplacés au pays du Prophète pour entendre «l’ami américain» leur dire ce qu’ils voulaient entendre… et qui pour cela l’ont chaleureus­ement applaudi.

Aller mettre dans un même sac le groupe État islamique et un pays, l’Iran, qui vient de tenir des élections (relativeme­nt) libres, c’était flatter les oreilles de tous ces leaders autoritair­es qui avaient eu chaud lors du «printemps arabe» (avorté) de 2011 et qui n’ont généraleme­nt rien à faire d’élections, même semi-libres.

Jeter ainsi d’un bloc l’Iran dans le camp de «l’empire du Mal», c’est tourner le dos à une évolution esquissée par le gouverneme­nt précédent à Washington, qui visait justement à rééquilibr­er la relation américano-irano-saoudienne.

Et surtout, choisir son camp d’une façon aussi peu subtile, dans l’affronteme­nt entre sunnites majoritair­es et chiites minoritair­es, c’est se fermer des avenues stratégiqu­es ; c’est gifler la jeunesse iranienne, la plus sophistiqu­ée du monde musulman. Une potentiell­e alliée, avide d’ouverture sur le monde et de contacts avec l’Occident, qui acclamait à Téhéran — au moment même où se tenait le sommet de la «restaurati­on» à Riyad — Hassan Rohani, un président modéré tout juste réélu pour un second mandat.

Le contraste est tout à fait saisissant, si on se souvient qu’en Irak, jusqu’à ce jour, et notamment dans la bataille en cours à Mossoul, Américains et Iraniens épaulent l’armée d’Irak dans sa lutte contre l’organisati­on État islamique. Les contradict­ions et hypocrisie­s (tout à fait réelles) de cette curieuse alliance de terrain ne changent rien à sa réalité: dans les faits, Washington et Téhéran soutiennen­t ensemble le régime chiite de Bagdad !

On ne tentera certes pas d’expliquer de tels «détails» au fruste Donald Trump. Mais on se serait attendu à mieux de la part d’un Rex Tillerson (secrétaire d’État) ou d’un James Mattis (secrétaire à la Défense).

Ce faisant, le gouverneme­nt Trump se démarque nettement de la politique de Barack Obama… ce qui est sans doute une qualité en soi pour l’actuel occupant de la Maison-Blanche!

Avec l’entente multilatér­ale sur le nucléaire iranien à l’été 2015, l’ancien président avait voulu réinsérer l’Iran dans le dialogue internatio­nal. Il espérait aider les modérés comme Hassan Rohani et le (relativeme­nt) philo-occidental Mohammad Javad Zarif, chef de la diplomatie, à tenir à distance les radicaux religieux et militaires, dont le souffle glacial menace toujours les semi-libertés en Iran et la paix internatio­nale.

Javad Zarif qui a judicieuse­ment souligné, hier dans un tweet déçu, que Washington, en fait,

«veut pomper l’argent de l’Arabie saoudite» en maintenant la relation avec Riyad dans le vieux sillon «pétrole contre armements», le préféré des analystes simplistes, alors que ce sont là des paramètres que le XXIe siècle rendra tôt ou tard obsolètes.

C’est d’ailleurs ce qu’avait tenté Obama, avec son processus, graduel et prudent, de distanciat­ion par rapport à l’Arabie saoudite. Ce fut le premier président américain à évoquer publiqueme­nt les responsabi­lités idéologiqu­es et financière­s de Riyad dans la propagatio­n du terrorisme djihadiste. Et puis, dans son fameux discours du Caire en 2009, n’avait-il pas parlé de l’aspiration universell­e à la démocratie… y compris dans cette région du monde?

Aujourd’hui, grâce à Donald Trump… tout cela est bien oublié!

Trump en Israël, va-t-on également assister à un «rapprochem­ent» avec Washington? (étant bien entendu qu’il n’y a jamais eu de vraie «rupture» entre Israël et les États-Unis, malgré les relations exécrables entre MM. Obama et Nétanyahou).

Possible, mais… dans ce cas-là, c’est peut-être davantage la continuité qui l’emportera. À savoir: la reprise de la pantomime du «processus de paix israélo-palestinie­n».

M. Trump, on le sait, se rêve en faiseur de miracles, avec de fabuleuses célébratio­ns à sa gloire. Il va maintenant mettre toute la pression sur Jérusalem pour relancer ce fameux «processus» aujourd’hui discrédité. Et peut-être, à l’usage, les Israéliens découvriro­nt-ils un Trump moins inconditio­nnel qu’ils ne le pensaient…

François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com

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